La plupart des gens mettent leurs squelettes au placard. Les sondeurs, de même que les analystes politiques, retrouvent les leurs ailleurs: dans les archives. Un bien rapide survol des prédictions des mois précédant les élections générales de 2003 devrait inspirer une saine prudence à l'industrie du commentaire politique.

Car les similitudes sont étonnantes. C'était, pour la première fois, un véritable match à trois pour le pouvoir. L'Action démocratique du Québec (ADQ), dirigée par Mario Dumont, avait été en constante ascension pendant toute l'année 2002, dopée par quatre victoires inattendues dans des élections complémentaires en avril et en juin. Comme aujourd'hui, les libéraux traînaient dangereusement la patte, avec environ 20% des intentions de vote dans l'électorat francophone. Comme maintenant, le désir de changement de la population ne laissait entrevoir rien de bon pour le gouvernement en place, cette fois le Parti québécois (PQ), élu lui aussi neuf ans plus tôt.

Et, comme aujourd'hui, tous les augures constataient que l'électorat était bien volatil... «À la veille du débat des chefs, les trois partis étaient au coude à coude», relève Claire Durand, spécialiste des sondages à l'Université de Montréal. Cette situation suivait des mois de montagnes russes pour les trois partis dans l'opinion publique.

Car à l'automne 2002, à six mois du déclenchement des élections du 14 avril 2003, il était de bon ton de spéculer sans détour sur la disparition du Parti québécois qui traînait loin derrière, en troisième position, à moins de 20% des intentions, derrière l'ADQ et le Parti libéral (PLQ). Il y a tout juste un mois, les pronostics sur les chances du PQ aux prochaines élections ressemblaient étrangement aux prédictions de l'époque.

Sur une trajectoire

À l'automne 2002, l'ADQ voguait vers le pouvoir grâce à 40% des intentions de vote, contre 29% pour le PLQ, exactement leur score actuel, et 25% pour le PQ. Comme la Coalition avenir Québec (CAQ) à la fin de 2011, le nouveau parti semblait manifestement catapulté par la volonté de changement dans la population, passant de 12% à 40% en six mois. Comme cette année, le chef du «changement» dominait ses adversaires; 43% voyaient en lui le meilleur premier ministre, et comme ce fut longtemps le cas cette année, les chefs du PQ et du PLQ étaient à égalité, à 20% environ.

À la mi-octobre, en dépit d'une bonne performance économique, le gouvernement Landry a atteint un sommet d'impopularité - 65% des gens étaient insatisfaits. Jean Charest atteint aujourd'hui 70%. Le chef libéral à l'époque cédait du terrain à Bernard Landry comme meilleur premier ministre. Puis tout a basculé pour Mario Dumont; après un discours controversé à Toronto, il a dû essuyer les tirs croisés de ses adversaires qui le poussaient vers la droite. Une première baisse, de quatre points, puis la descente en vrille: l'ADQ a glissé en troisième position. Le gouvernement Landry a repris du poil de la bête après s'être engagé à réduire la taille de l'État.

Panne chez les francophones

En janvier 2003, les pertes de l'ADQ ont été récupérées par le Parti libéral, un peu comme le PQ a, le mois dernier, fait recette des appuis perdus par François Legault.

Les libéraux paraissaient en panne dans l'électorat francophone, mais le recul du nouveau parti les a subitement placés en avant, à 36%, tandis que le PQ et l'ADQ étaient égaux à 32%. Mais Mario Dumont restait toujours le plus populaire des trois chefs - dépassant largement l'appui obtenu par son parti. À la veille des élections, Dumont et Landry se disputaient le coeur des Québécois sur le plan de la confiance. À la fin du mois de février, Landry a fait un bond spectaculaire, en revenant d'Ottawa avec 800 millions de plus pour la santé. Subitement, seulement 49% des électeurs se disaient insatisfaits du gouvernement péquiste; ils étaient 17% de plus le mois précédent. L'ADQ a été repoussée dans son bastion de la région de Québec. Landry était le chef le plus populaire, mais le 14 avril, c'est Jean Charest qui a été élu premier ministre. Le soir du vote, 46% des électeurs ont voté pour le PLQ, 33% pour le PQ et l'ADQ, coqueluche six mois auparavant, a récolté 18% des votes.

Dans les six mois précédant le scrutin, chacun des trois partis aura eu ses heures très sombres, tous auront eu leur embellie. Cette fois, le PQ monte, la CAQ pique du nez et le PLQ piétine. Mais, vraisemblablement à plusieurs mois du scrutin, qui veut parier sur le résultat des prochaines élections?