La campagne récente de l'Office québécois de la langue française (OQLF) sur la francisation des raisons sociales a fait grincer des dents au gouvernement Charest. En dépit des prétentions de l'organisme, rien ne force les sociétés à ajouter un «descriptif en français» à leur raison sociale si elle est en anglais.

Avec sa publicité, l'Office a manifestement jeté de l'huile sur le feu. Le nombre des plaintes sur l'affichage a grimpé de façon considérable au cours de la dernière année, a relevé récemment la présidente de l'Office, Louise Marchand. Des sources fiables à Québec parlent désormais d'une tension évidente entre la ministre responsable de l'application de la Charte de la langue, Christine St-Pierre, et Mme Marchand, haute fonctionnaire bien branchée dans les milieux libéraux, après son passage au Conseil du patronat et à la Chambre de commerce du Québec.

Les frictions entre le titulaire du ministère responsable de la Charte et les fonctionnaires ne sont pas nouvelles: Claude Ryan a déjà admonesté publiquement Jean-Claude Rondeau, président de l'Office, et Louise Beaudoin est entrée en collision frontale avec Josée Legault, responsable à l'époque d'une vaste étude sur la situation du français.

Comme il a l'appui de seulement un francophone sur cinq dans les sondages d'opinion, le gouvernement Charest s'avance en zone minée dès qu'il met le pied sur le terrain linguistique, déchiré entre le risque de nourrir les récriminations des mouvements de défense du français et celui de paraître indifférent à la question identitaire. Ainsi, le Conseil du Trésor a freiné tout récemment la demande de financement supplémentaire de 1,6 million faite par le Secrétariat à la politique linguistique, dans le but de souligner, avec 35 projets subventionnés, le 35e anniversaire de l'adoption de la loi 101, cette année.

Aucune assise juridique

Dans sa campagne lancée en novembre, l'Office affirme que «respecter la Charte de la langue française dans l'affichage d'une marque de commerce comme nom d'entreprise, c'est au minimum afficher un descriptif en français». À Québec, on a sursauté. Non pas parce que la publicité a été préparée par Brad, firme dirigée par Dany Renaud, proche de Jean Charest. Mais parce que l'on sait que l'Office n'a aucune assise juridique pour étayer son affirmation.

Conséquence immédiate, les plaintes qui s'accumulent depuis les dernières semaines, aiguillonnées par la campagne de l'Office, n'ont aucune chance de mener à des poursuites formelles du Directeur des poursuites criminelles et pénales. Déjà, seulement 2% de l'ensemble des plaintes mènent à des poursuites, essentiellement parce que les employeurs poursuivis s'ajustent, conscients que le gouvernement est en terrain solide. Or, ce ne sera pas le cas en matière de raison sociale.

Le site internet mis en place pour la campagne de l'Office induit les sociétés en erreur, a-t-on confié à La Presse. On dit par exemple que «la Charte prévoit que les expressions tirées d'une autre langue doivent être accompagnées d'un descriptif (générique) en français dans les noms d'entreprise. Le descriptif (générique) peut être, par exemple, un mot, un groupe de mots ou un slogan, mais pour être acceptable il doit être visible et permanent, et décrire les activités de l'entreprise».

Selon l'Office, «même si elle est enregistrée, lorsque cette marque de commerce est utilisée comme nom d'entreprise, la Charte de la langue française exige qu'elle soit accompagnée d'un descriptif (générique) en français». Or, dans la loi, rien ne force l'entreprise dont la raison sociale est en anglais à ajouter un générique pour préciser son champ d'activités.

Interprétations divergentes

Hier, le porte-parole de l'Office, Martin Bergeron, a soutenu qu'il était trop tôt pour annoncer le nombre de plaintes faites sur l'affichage à la suite de la campagne de l'organisme. «On a vérifié notre interprétation juridique avant d'aller de l'avant. On comprend qu'il y a des gens qui n'ont pas la même interprétation que nous», a-t-il lancé.

La campagne de l'Office fait fi d'un avis formel du Conseil de la langue, fourni au gouvernement de Lucien Bouchard en 2000, à l'époque où Louise Beaudoin était ministre responsable. Le gouvernement péquiste s'était fait dire qu'il devrait se rabattre sur des mesures incitatives pour que les entreprises francisent leur raison sociale, puisque du point de vue de la loi, il n'était pas en terrain solide.