C'était il y a trois mois seulement. Pauline Marois, dont tout le monde prédisait la démission quelques semaines plus tôt, entamait une remontée spectaculaire dans les intentions de vote. Inversement, François Legault, porté aux nues tout l'automne, s'engageait dans une descente aux enfers. C'était moins visible, mais Amir Khadir et Québec solidaire étaient eux aussi sur une pente descendante. Publié cette semaine par La Presse, le dernier sondage de CROP permet désormais de mettre en lumière ces tendances.

Une lecture minutieuse des sondages fournit un éclairage inattendu sur ce qui s'est passé entre janvier et mars. Bien sûr, la méthode a ses limites et scinder l'échantillon d'une enquête d'opinion introduit toujours une part de risque. Même s'il faut prendre avec un grain de sel des changements parfois «homéopathiques» en terme de nombre de répondants, ils fournissent tout de même des indications utiles.

Mystérieuses mères de famille

Qui a fui la Coalition avenir Québec depuis le début de 2012? Les soccer moms! répond sans hésiter Youri Rivest, vice-président de CROP. En mars, la CAQ recueille 24 % d'appuis dans les sondages, contre 31% en janvier. Elle recueille maintenant l'appui de 19% des femmes (28% en janvier). En même temps, la CAQ pique clairement du nez parmi les gens aisés. En janvier, la CAQ pouvait compter sur l'appui de 35% des gens dont les revenus annuels sont supérieurs à 80 000$. Ces appuis ont glissé à 23% en mars.

Les soccer moms, ce groupe de mères de familles de banlieue plutôt aisées, sont depuis longtemps un mystère pour les stratèges politiques. C'est leur habitude de trimbaler leurs enfants aux matchs de soccer - souvent en fourgonnette - qui leur a valu cette «appellation contrôlée».

Ces mères de famille ne sont pas souverainistes, et pas davantage de gauche. Mais elles semblent préoccupées par la «cohérence» dans les prises de position des politiciens, observe M. Rivest. «Les soccer moms ne regardent pas tant les politiques que la cohésion du message». Une apparente contradiction les fait fuir. Or, les ténors de la CAQ ont connu quelques fausses notes dans les dernières semaines.

Une chose est sûre, elles représentent l'électorat le plus volatil. Stephen Harper les avait ciblées aux dernières élections, avec des mesures pour le financement du sport amateur.

La CAQ a aussi perdu des plumes dans la grande région métropolitaine, passant de 29% en janvier à 19% en mars. Sur l'île de Montréal, la CAQ récoltait 26% d'appuis, contre 17% en mars.

C'est surtout dans la couronne nord que le parti de François Legault conserve ses appuis.

Le PQ séduit les jeunes

Un autre constat s'impose en faisant une lecture plus fine des sondages. Le PQ est parvenu à fédérer les électeurs de gauche au détriment de Québec solidaire. Alors que 24% des jeunes de moins de 34 ans se rangeaient derrière Mme Marois en janvier, le PQ attire désormais 36% de ces électeurs - conséquence, peut-être, de l'opposition du parti à l'augmentation des droits de scolarité.

Le PQ compte désormais 24% des détenteurs de diplôme universitaire dans ses rangs, contre 13% il y a deux mois.

«Le PQ a fait une vraie razzia chez Québec solidaire, ce qui explique que ses appuis ont baissé de moitié. Le fonds de commerce du PQ est la gauche et la souveraineté. Quand ils sont dans ces deux marchés, quand ils coalisent cette frange, ils sont en terrain solide», observe M. Rivest.

Depuis janvier, Mme Marois a multiplié les annonces susceptibles de rassurer les souverainistes, par la création d'un comité et la mise en place d'États généraux sur la souveraineté. Elle a aussi fait un appel du pied à la gauche, en promettant d'abolir la contribution santé de 200$ pour transférer la facture aux plus hauts salariés.

D'autres résultats sont plus mystérieux: en janvier, le PQ avait l'appui de 17% des hommes, quatre points de moins que son score global au Québec. En mars, 37% des électeurs masculins se disaient péquistes, trois points de plus que la moyenne québécoise.

L'insistance du PQ sur les redevances sur les ressources naturelles paraît avoir fait recette en région. En janvier, le PQ avait 20% des intentions de vote dans les régions en dehors de Québec et de Montréal, à un point près sa moyenne sur l'ensemble du Québec. En mars, le tableau est radicalement différent: 42% des gens vivant en région voteraient PQ, bien plus que la moyenne du parti de 34% sur l'ensemble du territoire.

Glissade de Québec solidaire

En janvier, Québec solidaire était près de son zénith, à 11% des intentions de vote. C'est la glissade depuis janvier: le parti est revenu à 5%, son score le plus bas depuis un an.

En janvier, les jeunes étaient surreprésentés à Québec solidaire. Quelque 17% des moins de 35 ans votaient alors pour la petite formation, contre 10% en mars.

Le parti a aussi perdu des appuis auprès des diplômés universitaires: 12% d'entre eux se rangent derrière QS, contre 33% en mars. Les diplômés sont encore surreprésentés dans l'électorat du parti, qui fait 5% globalement, mais c'est bien moins net.

***

L'effet Rebello: 4%

L'effet Rebello, souvent évoqué par les commentateurs, est désormais appuyé sur des chiffres. Les électeurs non francophones voient d'abord la politique canadienne sur un axe souverainiste-fédéraliste. «L'arrivée de François Rebello a avivé cette question», observe Youri Rivest, vice-président de CROP. Avant que le député transfuge ne dise que la CAQ favoriserait la souveraineté du Québec, 18% des allophones étaient derrière Legault.

Deux mois plus tard, la CAQ a l'appui de seulement 4% des non francophones. Ils sont retournés chez les libéraux, dont les appuis sont passés de 64% à 77% dans cet électorat.