Nouveau chef national du Nouveau Parti démocratique (NPD), Thomas Mulcair a reçu un appel inattendu, dimanche matin. Exténué par le marathon du congrès de la veille, il avait au bout du fil Jean Charest qui tenait à le féliciter. Banale en apparence, la démarche reste étonnante pour ceux qui ont assisté à la collision frontale des deux politiciens «irlandais», il y a cinq ans.

Le nouvel alignement des astres fait sourire. Jean Charest a toujours rêvé d'être premier ministre canadien, mais il est brouillé avec Stephen Harper. Et voilà que c'est Thomas Mulcair qui a désormais une chance de devenir un jour le patron à Ottawa. Or, parmi tous les ministres que Jean Charest a nommés, M. Mulcair est celui avec qui il a eu les relations les plus difficiles.

Les deux hommes ont tenté d'essuyer l'ardoise, de mettre de côté les contentieux. Sitôt nommé lieutenant québécois par le regretté Jack Layton, après les élections de mai 2011, M. Mulcair était allé rencontrer M. Charest à son bureau de Québec «pour faire le point sur les dossiers québécois». L'échange a été «cordial», insiste-t-on dans l'entourage de M. Charest. Mais des vétérans du Parti libéral du Québec (PLQ) ne s'y trompent pas: «Ces deux-là ne se feront jamais confiance», estiment-ils.

De collaborateur apprécié à indésirable

Le passage de Thomas Mulcair au PLQ s'est bien mal terminé. Pourtant, quand les libéraux étaient dans l'opposition, Jean Charest aimait bien son député de Chomedey, véritable «pitbull» à l'Assemblée nationale où, avec Jacques Dupuis, Jean-Marc Fournier et Pierre Paradis, le guerrier à barbe trouvait bien souvent la jugulaire du gouvernement Landry. À la veille des élections de 2007, tout est consommé. On oublie même de prendre sa photo comme candidat dans Chomedey, sans que Jean Charest lui ait clairement signifié son congédiement. Mulcair sent bien qu'il n'est pas désiré, il sait qu'il sèchera sur la banquette arrière s'il s'accroche.

Un an plus tôt, Thomas Mulcair avait été carrément éjecté du gouvernement comme ministre de l'Environnement. L'an dernier, il a lui-même expliqué à L'actualité qu'on l'avait limogé en bonne partie parce qu'il s'était opposé à la construction dans des milieux humides à Laval. «C'est là que ça a commencé à mal aller avec Jean Charest. Il y avait beaucoup de terrains en jeu à Laval, notamment, et Charest m'a dit qu'il ne pouvait pas faire ça au maire Gilles Vaillancourt. On avait trop besoin de lui pour les élections», a expliqué M. Mulcair.

Le bras de fer a commencé par une ordonnance sans précédent du ministère de l'Environnement. À l'instigation de M. Mulcair, à l'été 2005, Québec a décidé de forcer la remise en état d'un terrain humide où des travaux avaient déjà été amorcés pour la construction d'un ensemble résidentiel, le Domaine Islemère. Après une querelle judiciaire, les terrains ont été ouverts au lotissement. «C'est proprement scandaleux», a tonné M. Mulcair, désormais à Ottawa.

Thomas Mulcair ne faisait pas l'unanimité autour de la table du Conseil des ministres. Il intervenait fréquemment, et lourdement, dans les dossiers de ses collègues, même ceux qui ne touchaient pas son ministère. Il tenait ses assemblées de financement à l'Onyx, restaurant de Laval, avant que ne devienne célèbre le propriétaire de l'établissement, Tony Accurso. Il n'y avait pas d'amour perdu avec l'autre ministre lavalloise, Michelle Courchesne. Une anecdote savoureuse d'une réunion de caucus: Mme Courchesne a tenu grief à M. Mulcair qui avait rappelé sa fidélité «au PLQ, à ses valeurs», sans parler de son chef. De sa voix doucereuse, Mulcair lui a administré l'électrochoc devant tous les députés: «Tes propos m'étonnent, Michelle, car toi-même, tu as déjà dit devant moi que le parti avait un problème de leadership.»

À l'Environnement, Thomas Mulcair s'est aussi opposé dans les coulisses au projet de centrale au gaz du Suroît, ce qui avait causé du tort à son collègue aux Ressources naturelles, Sam Hamad. Avant les élections, le PLQ s'était engagé, dans son programme, à envoyer à la trappe ce projet d'Hydro-Québec. Un autre affrontement n'a guère fait les manchettes; M. Mulcair était farouchement opposé au projet Rabaska, il ne pouvait imaginer que d'énormes méthaniers viennent mouiller à quelques encablures de Québec. À Boston, un projet similaire avait été abandonné. Mais pour le Suroît comme pour Rabaska, M. Mulcair se trouvait dans le chemin de Gaz Métropolitain, puissante société où avait travaillé Stéphane Bertrand, chef de cabinet de M. Charest.

La goutte qui fait déborder le vase

Après trois années de tensions, la privatisation d'une partie du parc du Mont-Orford a été la goutte qui a fait déborder le vase. Mulcair était opposé à la vente de la montagne, pour un centre de ski et des projets d'appartements en copropriété. Jamais le gouvernement n'avait cédé au privé une partie d'un parc provincial. Exaspéré, Jean Charest a décidé de passer par-dessus la tête de son ministre. La sous-ministre, Réjeanne Paulin, a préparé le décret nécessaire sans même mettre Thomas Mulcair dans le coup.

Tous les politiciens disent que «l'avenir dure longtemps». Seuls les plus vieux le savent. Après toutes ces querelles, ces déclarations fracassantes et cette hargne contenue, il convient de faire l'inventaire des lieux.

Le mont Orford n'est pas privatisé, le regretté Claude Béchard s'y s'est cassé les dents, et celle qui lui a succédé, Line Beauchamp, a signé la reddition. Rabaska ne s'est pas davantage réalisé; pas de gaz russe, pas de grands méthaniers. Plus personne ne parle du Suroît.

Et si le projet de Laval devait incarner une alliance entre Jean Charest et le maire Gilles Vaillancourt, on ne peut parler de réussite.