Des millions de dollars de fonds publics qui devraient servir à la francisation des immigrants sont détournés vers l'enseignement de l'anglais aux nouveaux arrivants francophones, selon l'opposition péquiste.

Ce faisant, le gouvernement Charest cède aux pressions des milieux d'affaires, au lieu de remplir son devoir quant à la défense du français et la francisation des immigrants, déplore le porte-parole de l'opposition officielle en matière de langue, le député de Drummond, Yves-François Blanchet.

«Il me semble évident que le gouvernement a des pressions de la part des milieux d'affaires, qui eux demandent que les travailleurs maîtrisent mieux l'anglais», a-t-il dénoncé lundi, en entrevue téléphonique.

«On en arrive à une situation où le gouvernement prend des ressources et des efforts qui devraient aller vers la francisation et les détourne, à toutes fins pratiques, vers l'anglicisation», estime M. Blanchet, qui juge l'opération carrément inacceptable.

«De parler de détournement, c'est vraiment aberrant, aberrant», réplique aussitôt la ministre de l'Immigration, Kathleen Weil, lors d'un entretien téléphonique, soutenant que la totalité des fonds versés par Ottawa pour la francisation servait effectivement à cette fin.

La ministre Weil et le député Blanchet avaient été invités à réagir à un reportage diffusé la veille par La Presse Canadienne. La dépêche révélait que le ministère de l'Emploi avait versé 2,1 millions $, depuis 2008, pour offrir des cours d'anglais à plus d'un millier d'immigrants francophones, tandis que le ministère de l'Immigration et celui de l'Éducation finançaient eux aussi de tels cours, par l'intermédiaire des centres d'éducation pour adultes et des organismes communautaires d'intégration.

Mais la ministre de l'Immigration refuse de parler du besoin ressenti par les immigrants francophones d'apprendre l'anglais pour gagner leur vie au Québec. Et, selon elle, il est faux de prétendre que le marché du travail à Montréal est devenu bilingue.

Au contraire, «la langue de travail, c'est sûr que c'est le français au Québec», assure la ministre, qui constate un engouement grandissant chez les allophones pour les cours de francisation, dont le budget est passé de 48 à 68 millions $ au cours des dernières années.

«C'est le français qui est incontournable», au Québec, pas l'anglais, insiste Mme Weil.

«La réalité du marché de l'emploi c'est qu'il faut parler français pour bien intégrer le marché de l'emploi, à la hauteur de son éducation et de ses compétences», estime la ministre, tout en esquivant les questions portant sur la nécessité de franciser davantage le monde du travail.

C'est pourtant de ce côté qu'il faut intervenir, selon l'opposition péquiste.

De l'avis de M. Blanchet, le gouvernement doit donc élargir la portée de la Charte de la langue française (loi 101) en milieu de travail, qu'il s'agisse des petites et moyennes entreprises (de 10 à 50 employés), qui ne sont pas assujetties à la loi 101, mais aussi des grandes entreprises. Il note qu'une entreprise sur six comptant plus de 50 employés n'a toujours pas terminé son processus de francisation.

Car le laissez-faire qu'il attribue au gouvernement en ce domaine se fait «au détriment de son devoir envers la langue française», à ses yeux.

Aussi, dit-il, il ne faut pas s'étonner de voir la moitié des immigrants effectuant un «transfert linguistique» opter pour l'anglais.

Quand ils débarquent au Québec, les allophones réalisent qu'ils peuvent très bien y vivre en anglais, donc sans devoir prendre de cours de français, ajoute le député, qui s'insurge de voir par ailleurs les immigrants francophones réaliser «tout aussi vite que sans l'anglais ils auront du mal à y trouver du travail».