Si le réseau de la santé du Québec manque toujours d'argent, ce n'est pas parce que les directeurs généraux d'hôpital dépensent sans compter. Grâce à la Loi sur l'accès à l'information, La Presse a obtenu les allocations de dépenses d'une vingtaine de dirigeants d'établissement de santé pour les années 2003 à 2007. Après avoir épluché des centaines de factures, une conclusion s'impose : la quasi-totalité d'entre eux dépense avec parcimonie.

À part une ou deux notes de frais où des dépenses suscitent une interrogation, la plupart des directeurs généraux des principaux établissements de santé au Québec sont prudents dans leurs dépenses.

Quand on additionne les factures et les salaires, c'est l'ancien chef du Centre hospitalier universitaire de Montréal (CHUM), Denis R. Roy, qui arrive en tête. Du début de 2003 à la fin de 2007, outre son salaire de 225 000$ par année (soit le plus élevé du groupe), il a dépensé un peu plus de 62 000$.

De tous les directeurs, c'est M. Roy qui a présenté les plus grosses factures de transport par avion (22 000$). Il s'est rendu à Strasbourg, Winnipeg, Vancouver, Toronto, Ottawa, Miami, Paris, Victoria, Melbourne, Londres, Marseille et Barcelone.

Ses notes d'hôtel arrivent au troisième rang des plus coûteuses (11 000$). Il a par exemple logé au chic Fairmont Turnberry Isle Resort and Club, un hôtel de Miami qui facturait 325$ la nuit. M. Roy est le seul à se déplacer en limousine. À trois reprises, il a parcouru le trajet Québec-Montréal en limousine en payant chaque fois environ 1000$.

Si les dépenses de M. Roy semblent élevées, elles prennent une tout autre proportion quand on les ramène sur une base hebdomadaire. En effet, on remarque que M. Roy n'a dépensé que 240$ par semaine du temps où il dirigeait le CHUM.

Il a été impossible de parler à M. Roy puisqu'il a démissionné au début de l'été. Mais le directeur des ressources humaines du CHUM, Renaud Vigneault, a accepté de commenter ces dépenses.

Selon lui, il ne faut pas s'alarmer du fait que le directeur du CHUM a un gros salaire. «Le salaire est fixé par le gouvernement. Quand on regarde la complexité du dossier du CHUM, on comprend que sa tâche est très grande», explique M. Vigneault, qui ajoute que M. Roy faisait des semaines «d'au moins 60 heures».

M. Vigneault assure que l'ancien DG du CHUM dépensait avec prudence. «Il prenait une limousine pour faire Montréal-Québec parce qu'il n'avait pas besoin de se plier à l'horaire des trains et qu'il pouvait préparer ses dossiers en route. En plus, la différence de prix entre un billet de train et la limousine est minime», dit-il.

Pour les voyages, M. Vigneault explique que le rôle d'un DG est «d'assurer le rayonnement de son hôpital, de faire de la politique et du lobbyisme» et que, pour ce faire, il faut voyager.





Normal

Le président de l'Association des directeurs généraux des services de santé et des services sociaux du Québec, Michel R. Denis, croit qu'il est normal que les DG de grands établissements comme le CHUM dépensent plus que ceux qui dirigent de petits hôpitaux. «On leur demande de voyager, de rencontrer des gens partout au Québec... Leur tâche est plus grande», dit-il.

Le plus dépensier des DG de notre palmarès n'est toutefois pas à la tête d'un très gros hôpital. C'est le chef de l'Institut de réadaptation de Montréal (IRM), Jacques R. Nolet, qui dépense le plus avec près de 70 000$ depuis 2003. Mais encore une fois, sur une base hebdomadaire, M. Nolet n'a dépensé que 270$ chaque semaine.

Ses notes de restaurant, à 28 000$, sont tout de même les plus élevées. M. Nolet explique cela par le fait qu'il paie toujours les repas lors des réunions du comité de direction de son établissement. «Au lieu que ce soit le président qui paye, je ramasse toujours la facture», dit-il.

C'est également M. Nolet qui dépense le plus en hôtels (17 000$, ce qui inclut souvent le prix de l'avion) et en cadeaux (6000$). Les cadeaux sont surtout liées à des achats faits à la Société des alcools du Québec (SAQ). M. Nolet a entre autres présenté deux factures de 410$ et 510$. Il affirme que ses dépenses à la SAQ visent à fêter les départs de cadres de l'IRM. «Quand un cadre part, je fais un vin d'honneur. J'achète une dizaine de bouteilles et on fête son départ en groupe», justifie M. Nolet, qui précise que ces bouteilles sont toutes vendues à des prix abordables.

Si M. Nolet a des dépenses importantes, ce n'est pas lui qui gagne le plus gros salaire. Au contraire, sa rémunération est parmi les plus basses (115 216$ par année, plus 10 950$ de bonus). C'est pourquoi M. Nolet ne figure pas dans le haut du palmarès des DG les plus dépensiers.

Latitude

Au deuxième rang du classement se trouve la directrice générale de l'hôpital Maisonneuve-Rosemont (HMR), Carole Deschambault. Son salaire atteint le deuxième rang du palmarès (204 250$ par année) et son bonus est le plus gros (18 800$ en 2007). Elle est toutefois loin d'être dépensière (moins de 38 000$ depuis 2003), bien que ses notes de restaurant soient imposantes (27 000$). La directrice de l'HMR a dégusté quelques repas à plus de 150$ le couvert (vin inclus) au cours des dernières années.

Il y a quelques années, l'alcool n'était pas remboursé par les établissements de santé. Aujourd'hui, la règle s'est assouplie. «Mais il ne faut pas qu'il y ait d'abus», précise M. Denis.

Ce dernier ajoute toutefois qu'on demande aux directeurs généraux d'être des «hommes d'affaires» et qu'il faut donc leur laisser un peu de latitude par rapport à leurs dépenses de repas.

«Si un DG soupe avec un donateur et que le souper coûte 500$, mais que le donateur finit par donner 2000$ à l'hôpital, le repas a été profitable. Il faut tenir compte de ça», dit M. Denis.

Le directeur général de l'hôpital Charles-LeMoyne à Longueuil, Yves Benoît, arrive troisième au classement des DG les plus dépensiers. Son salaire n'est pas parmi les plus élevés (183 600$ par année, plus un bonus de 9008$). Mais il est au quatrième rang des plus dépensiers (56 050$).

M. Benoît dépense principalement au restaurant (22 200$). «Chaque fois qu'il y a un conseil d'administration, qui compte 20 personnes, notre directeur général prend la facture. C'est la pratique, ici, explique la directrice des communications de l'hôpital Charles-LeMoyne (HCL), Sylvia Provost. La personne qui a le plus gros salaire paie la facture.»

Mme Provost ajoute que l'hôpital entretient des partenariats avec d'autres établissements et que «des partenariats, ça ne se fait pas dans un bureau».

Le DG de l'hôpital Charles-LeMoyne, qui a aujourd'hui quitté l'établissement, a voyagé un peu. Il a notamment participé à un colloque de santé publique dans un tout-inclus à Cuba pour 1369,50$. Il s'est également rendu à Amsterdam et à Marseille. Les billets d'avion lui ont coûté 4626$.

M. Denis assure qu'il ne faut pas se formaliser de ces voyages. Selon lui, les directeurs généraux du Québec, au contraire, ne voyagent pas assez. «Ils ont peur d'aller loin. Ils ne veulent pas abuser. Dans le milieu, aller plus loin que Boston est vu comme une hérésie, dit-il. Mais la santé, c'est universel. Il faut voyager pour s'inspirer. C'est triste que les DG aient peur de voyager.»

Avec la collaboration de William Leclerc