Lundi s'ouvre à Rome une réunion cruciale pour l'avenir de l'industrie canadienne de l'amiante chrysotile. Une fois encore, le Canada devrait tout faire pour empêcher que le minerai ne soit inscrit sur la liste rouge des produits hautement toxiques.

Scientifiques et militants des droits de l'homme l'accusent d'exporter une substance cancérigène vers des pays qui n'ont pas les moyens de s'en protéger.

 

Quand il se rend au travail, le député néo-démocrate Pat Martin voit des ouvriers qui procèdent aux travaux de désamiantage du parlement, à Ottawa. L'illustration parfaite, à ses yeux, de l'hypocrisie canadienne dans le dossier de l'exportation de l'amiante vers des pays en voie de développement.

Le Canada dépense des centaines de millions pour débarrasser le parlement d'un minerai cancérigène... dont il continue pourtant à faire la promotion active auprès des pays du tiers-monde. «C'est trop mortel pour les députés, mais c'est acceptable pour les Indiens ou les Bangladais», s'indigne le député Martin, lui-même ancien mineur d'amiante au Yukon.

La mine est fermée, comme bien d'autres au pays. Aujourd'hui, l'industrie canadienne de l'amiante se concentre dans les mines québécoises de Thetford Mines et d'Asbestos, où elle ne génère plus que 700 emplois - 10 fois moins qu'il y a 30 ans. Le Canada n'en demeure pas moins l'un des plus gros exportateurs d'amiante au monde. Et l'un de ses plus fervents défenseurs.

Lundi s'ouvrira à Rome une réunion capitale pour l'avenir de l'industrie de l'amiante. Sous l'égide de l'ONU, les représentants de 120 pays se réuniront pour décider s'ils incluent le chrysotile, la seule fibre d'amiante toujours commercialisée, sur la liste rouge des produits hautement toxiques.

Position du Canada

Le Canada s'est toujours opposé à l'inscription du chrysotile à cette liste de substances dangereuses. Hier, le ministère des Affaires étrangères n'était toujours pas en mesure de préciser si cette position changera à Rome. Il est probable que, malgré les pressions croissantes des médecins et des militants des droits de l'homme, le Canada défendra une fois de plus le chrysotile.

La position canadienne paraît pourtant de plus en plus indéfendable. L'Europe a banni l'amiante sous toutes ses formes, y compris le chrysotile. L'Organisation mondiale de la santé (OMS) et l'Organisation internationale des travailleurs prônent son interdiction totale.

La pression a monté d'un cran avec la parution, la semaine dernière, d'un éditorial acerbe dans le Journal de l'Association médicale canadienne, qui comparait la morale d'Ottawa dans ce dossier à celle d'un marchand d'armes.

Un rapport publié jeudi par l'Institut Rideau estime aussi que «l'industrie canadienne survit uniquement grâce à un mélange de science au rabais, de manipulation politique et de mépris pour la santé des travailleurs».

L'Institut du chrysotile, un organisme financé par l'industrie - et largement subventionné par Québec et Ottawa - affirme plutôt que le minerai est inoffensif lorsqu'on l'utilise de manière «responsable et sécuritaire».

Un rapport enterré

Qu'en est-il exactement? Santé Canada semblait déterminé à faire la part des choses lorsqu'il a réuni des experts internationaux pour étudier les risques liés à l'exposition au chrysotile. Or, leur rapport s'empoussière depuis six mois sur les tablettes du Ministère, qui refuse de le rendre public.

Selon le président du comité d'experts, Trevor Ogden, il est clair qu'Ottawa veut enterrer le document pour éviter l'embarras à la réunion de Rome. «L'industrie espère mettre de l'avant sa vision des choses et craint que notre rapport lui barre la route.»

Dans cette affaire, le gouvernement fédéral laisse des «intérêts politiques et économiques prendre le pas sur la science», déplore M. Ogden, rédacteur en chef de la revue britannique Annals of Occupational Hygiene.

Les experts du comité se sont engagés par contrat à ne pas révéler le contenu de leur rapport. Mais une chose est claire: jamais le document n'affirme que le chrysotile est inoffensif, souligne l'épidémiologiste américain Leslie Stayner.

Au contraire, le chrysotile est cancérigène. «Il n'y a aucune information scientifique dans notre rapport qui pourrait changer cette conclusion fondamentale», dit-il.

L'épidémiologiste prône l'interdiction totale du chrysotile. «C'est le seul moyen d'empêcher que l'on assiste, dans les pays en développement, à une tragique épidémie de maladies de l'amiante.»

«La convention de Rotterdam a été créée pour que les pays en développement puissent connaître les risques des produits qu'ils importent, ajoute M. Ogden. Le Canada a la réputation de soutenir les plus faibles. Or, son opposition à l'inscription du chrysotile sur la liste des produits toxiques fait mentir cette réputation. C'est une honte pour votre pays.»