Pour pallier les lacunes évidentes du réseau de la santé et des services sociaux en matière de santé mentale, le ministère de la Santé a pondu un plan d'action. Une réforme de toute l'organisation des services, qui seront désormais axés sur la première ligne. En théorie, donc, un progrès. Non, rétorquent plusieurs psychiatres, qui croient qu'on s'apprête à répéter le cauchemar de la désinstitutionnalisation.

Sur papier, tout semble parfait. Porte d'entrée du réseau pour les jeunes atteints de troubles mentaux : le CLSC local. Tous les CLSC disposeront d'une équipe d'intervention spécialisée en santé mentale, composée de plusieurs professionnels : infirmières, omnipraticiens, psychologues, travailleurs sociaux. Les troubles légers à moyens seront pris en charge là-bas. Un pédopsychiatre répondant épaulera les intervenants de chaque CLSC et on lui référera les cas lourds.

En région, cette stratégie est déjà en oeuvre. Et elle fonctionne très bien, affirme le docteur André Delorme, sous-ministre à la Santé. «Le Québec a surtout développé des services de deuxième ligne en santé mentale. Et, oui, ça a un impact sur l'accessibilité.» En formant une première ligne cohérente, « ça permet de décharger la deuxième ligne», explique-t-il.

En théorie, oui. En pratique, peut-être que non. Car pour assurer une première ligne cohérente en santé mentale, Québec va sacrifier les soins aux jeunes les plus atteints, dénoncent plusieurs psychiatres.

« Le jeune avec un trouble léger ou moyen va avoir plus de services. Mais celui pris avec un trouble sévère, lui, il n'aura rien d'autre qu'une pilule. Ça va être la catastrophe », dénonce la pédopsychiatre Marie Plante.

Le problème, c'est que pour créer les équipes qui seront à l'oeuvre en CLSC, il n'y a pas d'argent frais. On a donc réquisitionné tous les psychologues qui travaillaient en hôpital pour les envoyer en première ligne. À Montréal seulement, 143 professionnels quitteront ainsi les hôpitaux.

«On va vider les ressources spécialisées pour créer une première ligne. On va déshabiller Pierre pour habiller Jacques», déplore le psychiatre Luc Blanchet.

Non seulement les psychologues et travailleurs sociaux des hôpitaux seront-ils absents, mais les pédopsychiatres, déjà débordés, auront moins de temps à consacrer à leurs cas. « Dans le plan, on prévoit que les pédopsychiatres vont devoir donner 20 % de leur temps en support pour coacher la première ligne», explique la Dre Plante. « Quand est-ce qu'on va voir des jeunes?», se demande-t-elle.

Au ministère de la Santé, on minimise les craintes. «Ce n'est pas surprenant que les gens à qui on pose le défi de faire un changement réagissent comme ça. Mais l'expérience dans d'autres régions montre que l'impact est positif. Partout, on a été capable de faire ce changement-là avec des ressources moindres qu'à Montréal», plaide le Dr Delorme.