Les consortiums en lice pour la construction du Centre hospitalier de l'Université de Montréal (CHUM) demandent une garantie financière de plusieurs centaines de millions de dollars au gouvernement, sous peine d'abandonner le projet.

Si Québec se plie à cette demande, le principe de transfert de risques des partenariats public-privé (PPP) disparaîtra, selon le président du comité des politiques publiques de l'Association des économistes du Québec, Jean-Pierre Aubry. Dans ce contexte, M. Aubry se demande si le CHUM devrait vraiment être construit en PPP .

Avec la crise économique, les consortiums impliqués dans la construction du CHUM sont incapables d'emprunter à long terme. Les compagnies d'assurances refusent d'assurer des prêts aussi considérables. «C'est absolument impossible d'emprunter sur 30 ans», a dit à La Presse un haut placé d'une société impliquée dans un consortium du CHUM.

Pour protéger leur viabilité financière, les consortiums veulent que Québec leur paye une bonne partie des coûts de construction du CHUM dès la fin des travaux.

La semaine dernière, le gouvernement a annoncé qu'il s'endettera de 75 millions pour payer le tiers des coûts de construction de la nouvelle salle de l'Orchestre symphonique de Montréal (OSM) dès la fin des travaux.

Dans le cas du CHUM, un hôpital de 772 lits dont les coûts de construction sont évalués à 1,1 milliard de dollars, les sommes à emprunter seront bien plus considérables. En Ontario et en Colombie-Britannique, le gouvernement a déjà payé de 20% à 50% du coût final. Québec pourrait donc devoir emprunter entre 240 et 600 millions de dollars pour payer le CHUM.

Le ministre de la Santé, Yves Bolduc, affirme que le gouvernement n'a pas l'intention pour l'instant de se plier aux demandes des consortiums. «Mais dans la vie, il faut savoir s'adapter. Donc il est toujours possible qu'il puisse arriver des événements qui fassent qu'on doive revoir notre projet, comme j'ai revu le projet au niveau de la construction. (...) Moi, je dis que tant qu'on n'a pas commencé à construire, il est possible de revoir les affaires», dit-il.

L'économiste Pierre Hamel, de l'Institut national de recherche scientifique (INRS), explique toutefois que le gouvernement n'a «pas de pouvoir de négociation devant les consortiums». «Les consortiums ne sont pas de mauvaise foi. Ils ne peuvent tout simplement pas emprunter. Ils vont abandonner le projet si le gouvernement ne paie pas», dit-il.

Déjà, la compagnie Babcock and Brown s'est retirée du projet du CHUM à cause de difficultés financières. Aucun remplaçant n'a encore été trouvé.

En Grande-Bretagne, le gouvernement a annoncé cette semaine qu'il versera 13 milliards de livres en garantie dans le cadre de différents projets de PPP. La crise économique ayant affaibli les compagnies, le gouvernement est dans l'obligation de financer les projets, sous peine de les voir avorter.

Un PPP inutile

La ministre des Finances du Québec, Monique Jérôme-Forget, a toujours plaidé que l'un des principaux avantages des PPP est que le gouvernement n'a pas à emprunter et que le risque est transféré au privé.

«Mais si le gouvernement accepte d'emprunter et de faire un paiement au consortium à la fin des travaux, le principe du transfert de risque tombe», dit M. Aubry.

Vu la complexité du projet, décider de construire le CHUM en PPP est une erreur magistrale, selon plusieurs intervenants questionnés par La Presse. «Ça n'a pas de bon sens. Le risque qui est transmis au privé est bien trop gros», confie notre source.

Pour M. Hamel, un autre argument allant contre le projet du CHUM en PPP est le manque d'adaptabilité du futur hôpital.

Le PPP du CHUM prévoit qu'un consortium privé emprunte de l'argent et construise l'hôpital. «Le consortium reste ensuite propriétaire pour 30 ans et le gouvernement paye un loyer sur cette durée», dit M. Aubry.

Durant cette période de location, le gouvernement aura beaucoup de peine à effectuer des améliorations dans le bâtiment. «On devra demander la permission au consortium. Le gouvernement sera dépendant et pourrait en payer le prix», dit M. Hamel.

«On aurait dû apprivoiser les PPP avec des projets plus petits», ajoute notre source.

Pour M. Hamel, «il n'est pas trop tard pour abandonner le mode de construction en PPP». «Le chantier serait déjà lancé si on était en mode conventionnel, dit-il. Et si on change d'idée, le CHUM sera construit plus vite que si on reste en PPP.»

La grogne contre la construction du CHUM en PPP commence à voir le jour au Québec. La Dre Marie Goulet, du groupe Médecins québécois pour un régime public (MQRP), a annoncé à La Presse qu'une coalition formée de plusieurs syndicats et de groupes de pression tiendra une conférence de presse dimanche pour dénoncer le PPP du CHUM.

- Avec la collaboration de Pascale Breton