Les psychologues québécois sont les seuls en Amérique du Nord à ne pas pouvoir diagnostiquer si un enfant est atteint de troubles envahissants du développement (TED). Le diagnostic d'un pédopsychiatre pour obtenir des services spécialisés est impératif. La Presse a appris que le gouvernement s'apprête à émettre une directive pour que l'évaluation d'un psychologue soit suffisante. Mais ce n'est qu'«un diachylon sur le bobo», dénoncent certains.

Le Québec est le seul endroit en Amérique du Nord où les psychologues ne peuvent diagnostiquer un enfant atteint de troubles envahissants du développement (TED). Le Réseau d'action Autisme/TED a lancé une pétition - signée 5000 fois - pour que le projet de loi 21, qui prévoit une révision du Code des professions, leur donne ce droit réservé aux pédopsychiatres.

 

À l'heure actuelle, le Réseau estime que, seulement à Montréal, 600 familles se morfondent sur une liste d'attente pour rencontrer un pédopsychiatre et obtenir un diagnostic TED. Ensuite, ils doivent patienter entre six mois et deux ans pour avoir les soins intensifs appropriés dans un centre de réadaptation en déficience intellectuelle et en troubles envahissants du développement (CRDITED).

Mais bientôt, les parents n'auront plus besoin d'un diagnostic médical pour obtenir des services pour leur enfant. L'évaluation d'un psychologue suffira, a annoncé à La Presse Harold Fortin, attaché de presse de Lise Thériault, ministre déléguée aux Services sociaux.

Déjà trois centres de réadaptation acceptent des enfants «évalués» et non «diagnostiqués» TED, a-t-il précisé. Une «directive administrative» sera émise sous peu par le Ministère.

«C'est en processus. Ce n'est pas encore partagé dans le réseau», confirme Brigitte Bédard, conseillère en communication à la Fédération québécoise des centres de réadaptation en déficience intellectuelle et en troubles envahissants du développement (FQCRDITED).

Mais pour les psychologues et des organismes comme le Réseau d'action Autisme/TED, ce n'est pas assez. Ils réclament que le projet de loi 21 (voir capsule), déposé en mars dernier, soit amendé de façon à donner aux psychologues spécialisés en troubles envahissants du développement le droit de le diagnostiquer.

Québec ne compte pas aller jusque-là. Pourquoi? Le gouvernement s'appuie sur le rapport Trudeau sur la santé mentale, déposé en 2005, qui définit clairement les champs d'exercices des professionnels des différentes disciplines, répond Harold Fortin.

Le Dr Martin Drapeau, vice-président de l'Ordre des psychologues du Québec, précise que l'autisme n'est jamais diagnostiqué par un seul spécialiste. Mais il ne croit pas que l'on doive aller jusqu'à modifier le projet de loi afin que les psychologues puissent «entériner» ou «endosser» un diagnostic.

Pour les psychologues dont la clientèle est TED, c'est une évidence. «Le diagnostic TED est un diagnostic psychologique et fonctionnel, et non médical», plaide Katherine Moxness, directrice des services professionnels aux centres de réadaptation Lisette-Dupras et de l'ouest de Montréal.

Des représentants du ministère de la Santé et des Services sociaux ont par ailleurs dit à la psychologue qu'avec la nouvelle directive, les enfants «évalués» TED auront droit à moins de services que les enfants «diagnostiqués» TED. «Le fait qu'on accélère la procédure ne change rien au fait que l'enfant doit faire l'objet d'un diagnostic pour avoir le traitement approprié», confirme Harold Fortin, attaché de presse au ministère de la Santé et des Services sociaux.

Pour Nathalie Garcin, directrice des services professionnels au service de réadaptation L'Intégrale, le gouvernement ne fait que mettre «un diachylon sur une partie du bobo». L'enfant simplement TED n'aura pas accès à l'Intervention comportementale intensive (ICI) de 20 heures par semaine, tel que recommandé en 2003 par le gouvernement de Jean Charest. Et ses parents n'auront pas droit à la prestation de la Régie des rentes de 171$ par mois.

Pour Diane Guerrera, coprésidente du Réseau d'action Autisme/TED, c'est inadmissible. «Donnera-t-on juste un peu de chimiothérapie à quelqu'un qui a le cancer? lance-t-elle. Les enfants doivent pouvoir recevoir immédiatement tous les soins nécessaires.»

«La littérature démontre l'importance de l'intervention précoce pour les enfants TED», renchérit la psychologue Katherine Moxness.

Patience et angoisse

En 2003, le gouvernement Charest a lancé la politique Un geste porteur d'avenir, pour développer des services prioritaires aux enfants âgés de 0 à 5 ans. Six ans plus tard, «la liste d'attente demeure un défi à relever», dit le communiqué de presse de la Fédération québécoise des centres de réadaptation en déficience intellectuelle.

En date du 31 mars dernier, le délai d'attente moyen pour un premier service était de 160 jours pour les enfants âgés de 0 à 4 ans. Mais les listes d'attente sont beaucoup plus longues pour que l'enfant TED puisse avoir le service d'ICI. Cela peut prendre jusqu'à deux ans, estime le Réseau d'action Autisme/TED.

Catherine Kozminski, dont la fille de 5 ans est autiste, a passé des journées au téléphone pour obtenir des rendez-vous. D'abord pour avoir un diagnostic, puis pour des services en centre de réadaptation. En attendant, le parent se meurt d'angoisse, dénonce-t-elle. «Même au privé, il y a des listes d'attente. J'étais prête à payer 200$ l'heure pour que ma fille voie un orthophoniste», raconte la coauteure de L'autisme un jour à la fois. «Le système a des lacunes et les parents n'en peuvent plus», conclut-elle.

 

PROJET DE LOI 21

Le projet de loi 21 ou la Loi modifiant le Code des professions et d'autres dispositions législatives dans le domaine de la santé mentale et des relations humaines a été déposé devant l'Assemblée nationale, en mars dernier. Il prévoit une redéfinition des champs d'exercice professionnels. L'Ordre des psychologues du Québec l'accueille de façon favorable, car cela met fin à «l'ambiguïté» de qui peut s'afficher comme psychothérapeute. Certains psychologues québécois spécialisés en troubles envahissants du développement (TED) veulent toutefois amender le projet de loi pour qu'ils puissent enfin diagnostiquer les enfants TED, comme leurs confrères du reste de l'Amérique du Nord.