Une forte proportion de préposés aux bénéficiaires travaillant dans des résidences privées pour personnes âgées n'ont pas de formation, a révélé récemment La Presse dans une enquête-choc. La ministre des Services sociaux du Québec, Lise Thériault, s'était dite «surprise» par la situation et avait promis de corriger le tir. Mais aujourd'hui, La Presse apprend que le gouvernement savait depuis au moins un an que la formation des employés des résidences privées pour aînés est déficiente.

En mai 2008, la Table de concertation sur la formation du personnel oeuvrant en CHSLD privés et en résidences pour personnes âgées a publié un rapport troublant. Après avoir interrogé les employés et les propriétaires de 146 résidences privées pour aînés de la province, la Table concluait que «seulement 41% des résidences exigent une formation de préposé au moment de l'embauche».

La Table interpellait même directement le gouvernement: «La responsabilité de l'État auprès des aînés exige que la réalité de cette situation soit reconnue et que des moyens exceptionnels soient déployés pour que cette clientèle soit desservie adéquatement.»

Mais un an après la sortie de ce rapport, les lacunes sont toujours importantes dans les résidences privées, comme l'a rapporté La Presse le mois dernier. Sans formation, une journaliste a été engagée dans des résidences privées pour personnes âgées.

Dans son rapport, la Table notait que les préposés aux bénéficiaires sont de plus en plus appelés à prodiguer des soins poussés. Dans 46% des résidences sondées, les préposés procèdent à des injections d'insuline. Et dans 15% des résidences, les préposés injectent de la morphine. «Ces données sont pour le moins troublantes quand on sait que la plupart de ces gestes ne doivent être posés que par des membres d'un ordre professionnel», dénonçait le rapport.

La Table rapportait aussi que les employés de résidences privées «ne considèrent pas avoir les compétences pour effectuer les tâches qu'on leur demande».

Le rapport de la Table a été subventionné en partie par Emploi-Québec. Une copie du document a été transmise le 3 juin 2008 à la Commission des partenaires du marché du travail, un organisme qui conseille le ministre de l'Emploi, Sam Hamad. Mais il semble que le rapport soit passé à travers les mailles du filet.

Selon l'attaché de presse du ministre Hamad, Alexandre Boucher, le cabinet n'a reçu le rapport qu'en février 2009. «À partir de ce moment, on n'a pas chômé. On travaille à l'élaboration d'une mutuelle de formation pour les préposés aux bénéficiaires», dit M. Boucher.

Le président de la Fédération des préposés aux bénéficiaires du Québec, Michel Lemelin, a participé à l'élaboration du rapport. Il assure que le gouvernement connaît le problème depuis plus d'un an. «Le rapport a été déposé à Emploi-Québec, au ministère de la Santé et des Services sociaux. Je crois même que le ministère des Aînés l'a eu. Et l'Office des professions. Mais rien n'a été fait depuis un an», déplore M. Lemelin.

La critique péquiste en matière de personnes âgées, Lisette Lapointe, attaque elle aussi le gouvernement. «Il ne peut pas dire qu'il ne savait pas ! Mais rien n'a été fait depuis. C'est épouvantable», dit-elle.

Certification

Dans son rapport, la Table explique que le gouvernement a instauré, en février 2007, un processus de certification des résidences privées pour aînés. Parmi les critères de certification, on oblige les résidences à avoir en poste, 24 heures sur 24, au moins une personne majeure qui détient une formation en réanimation cardio-respiratoire, en secourisme et en déplacement sécuritaire de personnes âgées.

Mais ce critère n'est pas suffisant, dénonce le rapport, qui suggère d'obliger tous les employés et les propriétaires de résidences privées à avoir suivi une formation.

À la suite des révélations de La Presse le mois dernier, la ministre Thériault avait promis de resserrer les critères de certification. Elle disait notamment vouloir s'attaquer à la formation des employés. «Mais le gouvernement savait depuis un an qu'une telle mesure était nécessaire», mentionne M. Lemelin.

Au cabinet de la ministre Thériault, on se défend d'avoir fermé les yeux sur la crise. «La première phase du processus de certification se termine fin juin. Même si le gouvernement savait déjà qu'il fallait modifier les critères, on ne pouvait pas les changer en cours de route. On attend la fin de la première phase de certification et on changera les critères», assure l'attaché de presse de la ministre Thériault, Harold Fortin.

Mais pour Mme Lapointe, aucune excuse n'est valable. «Ce qu'on voit, c'est que depuis un an, rien de concret n'a été fait. Une mutuelle de formation existe. Mais dans les faits, rien n'a bougé», dit-elle.