Au cours des derniers jours, des milliers de Québécois ont reçu par la poste une invitation pour le moins inhabituelle: participer à la création d'une banque de données qui permettra un jour de mieux prévenir et traiter les maladies.

«C'est un geste de citoyenneté. On demande aux gens de contribuer à des connaissances pour améliorer à long terme le système de santé», a expliqué le directeur scientifique du projet, le Dr Claude Laberge.

Pour lui, c'est l'aboutissement d'une carrière et la réalisation d'un projet qui a germé pendant près de 10 ans. Le Dr Laberge a d'ailleurs consacré ses années de travail en médecine à l'épidémiologie et à la recherche en génétique.

Dans les années 70, il a contribué à mettre sur pied le programme national de dépistage sanguin néonatal (programme qui existe encore aujourd'hui) afin de détecter trois types de maladies héréditaires chez les nouveau-nés.

Aujourd'hui, le Dr Laberge participe à un projet qui devrait durer les 50 prochaines années. Un projet qui, espère-t-il, va changer la médecine.

CARTaGENE est une banque de données et d'échantillons biologiques prélevés chez 20 000 Québécois âgés de 40 à 69 ans. Le but? Aider les chercheurs à mieux comprendre la maladie.

«On estime que 33% des gens de cet âge ont déjà des problèmes de santé comme l'hypertension, le diabète ou l'ostéoporose et s'ils n'en ont pas, leur conjoint en a», a souligné le Dr Laberge, rencontré dans les locaux de CARTaGENE, à deux pas de l'Université de Montréal.

On a recruté au hasard 20 000 participants dans les régions de Montréal, Québec, Sherbrooke et du Saguenay-Lac-Saint-Jean. Les lettres d'invitation ont été envoyées au cours des dernières semaines et déjà, le taux de réponse se situe autour de 28%. «C'est excellent en période estivale», s'est réjoui le Dr Laberge.

Les participants doivent fournir des échantillons de sang et d'urine, et se soumettre à divers tests pour mesurer notamment leur tour de taille ou leur densité osseuse.

Ces données, entièrement codées pour préserver l'identité des participants, seront regroupées dans une banque accessible aux chercheurs. Ils auront accès à un bassin regroupant des données diverses -par exemple des hommes, non-fumeurs, présentant un taux de cholestérol élevé- pour mener des recherches sur des maladies comme le diabète, le cancer ou l'alzheimer. Ils pourront étudier de quelle façon les gènes, l'environnement et les habitudes de vie influencent la santé des gens.

Un comité sera mandaté pour étudier les projets des chercheurs et leur permettre d'utiliser la banque de données. Celle-ci devrait être accessible au début de 2010, quand environ la moitié des 20 000 volontaires auront été trouvés.

Idéalement, le projet aboutira à une deuxième phase: recueillir des données chez 30 000 autres participants, âgés de 25 à 75 ans. «Ça reste à définir. Il faut qu'on prouve qu'on est capable de s'occuper des 20 000 premiers pour commencer», a insisté le Dr Laberge. Plus les banques de données contiennent d'informations, plus elles sont utiles pour faire certains recoupements quant aux maladies et à l'hérédité, par exemple.

Long processus

La génétique prend une place de plus en plus grande en santé. Mais le processus est long. Il n'a pas toujours été facile de convaincre certains organismes gouvernementaux, surtout en santé publique, se souvient le directeur scientifique.

«Au début, l'impression générale était que c'était trop compliqué. Les gens étaient habitués de faire des enquêtes de santé auprès de la population. Nous, on crée des ressources de santé pour que les chercheurs puissent mener des enquêtes», a rappelé le Dr Laberge.

Il ne s'agit plus de déterminer seulement si une personne est fumeuse ou non. Il sera possible de tenir compte des risques de maladies qu'elle traîne dans son bagage génétique et pourquoi un fumeur contracte une maladie que son voisin, fumeur aussi, n'a pas.

La médecine du futur est une médecine personnalisée. Les médecins disposeront de connaissances en génétique pour dresser le profil de leurs patients et leur administrer immédiatement le bon médicament.

Vers une science plus exacte

Les banques de données seront importantes, en pharmagénomique, «pour comprendre pourquoi, dans un bassin de 20 000 asthmatiques, un médicament fonctionne pour 18 000, ne marche pas pour 1000 autres et en tue 1000 autres», a expliqué Bartha Maria Knoppers, chercheuse principale à CARTaGENE et directrice du Centre de génomique et politiques de l'Université McGill.

Il faudra encore quelques décennies avant d'y arriver, mais c'est un projet emballant, estime Mme Knoppers. «On crée ces infrastructures publiques, humanistes, en vue d'une meilleure science, une science plus exacte.»

Pour l'heure, le projet CARTaGENE en est à ses premiers balbutiements. À Montréal, les premiers participants ont été rencontrés il y a quelques jours à peine. Ailleurs, cela se fera au début de l'automne.