Deux personnes ont perdu la vie, cet été, après avoir contracté la listériose. Dans les deux cas, la cause n'a pu être établie et les victimes ont été considérées comme des cas isolés.

«C'est un cas isolé, je le sais, mais ça ne veut pas dire qu'on ne devait pas nous poser des questions!» déplore Shirley Baraconi, qui s'est sentie, elle aussi, cruellement isolée cet été. Sa mère, Pierrette Proulx, est l'un des deux cas en question. Shirley Baraconi s'attendait à avoir la visite d'un inspecteur à la maison, qui aurait vérifié le contenu du réfrigérateur de sa mère. Il n'y en a pas eu. Contrairement à ce qui est prévu, la famille n'a pas dû remplir de questionnaire alimentaire non plus, pour savoir ce que Mme Proulx avait mangé dans les semaines précédant son admission à l'hôpital, en juin. Ironiquement, Shirley Baraconi avait en main tous les reçus d'épicerie de sa mère, ce que peu de gens conservent. Une mine d'informations qui ne semblait pas intéresser les représentants de la santé publique.

 

Pierrette Proulx était une grande consommatrice de charcuteries. Selon sa fille, aucun inspecteur n'a visité les épiceries qu'elle fréquentait pour vérifier d'où provenaient les saucissons de Bologne de sa mère.

Aujourd'hui encore, la famille manque d'informations de base essentielles pour comprendre ce qui est arrivé à Mme Proulx.

«La santé publique ne mène des enquêtes poussées que s'il y a une éclosion, déplore Shirley Baraconi. Autrement, on n'est rien pour eux.»

Il y a eu 26 cas de listériose au Québec depuis le début de l'année. «Tous sont de profil différent, on ne suspecte pas une source commune d'infection pour ces cas», explique-t-on au ministère de la Santé.

On est loin d'une crise. Ces données sont semblables à celles des années précédentes - excluant l'année dernière où il y a eu une éclosion due à la consommation de fromages, au Québec. À Montréal, il y a chaque année un ou deux décès des suites de la listériose, pour une douzaine de cas.

La listériose est l'une des trois toxi-infections à déclaration obligatoire, avec la maladie du hamburger et la salmonellose. De ce fait, tous les cas rapportés sont diagnostiqués, il n'y a pas de faux cas ou même de cas «probables». Les directions régionales de la santé publique transmettent les informations concernant tous les cas. S'il y a des croisements à faire, les enquêtes seront approfondies davantage.

Mais dans le cas de la listériose, les choses sont extrêmement compliquées puisque la maladie peut se déclarer 70 jours après la consommation d'un aliment contaminé. «Seriez-vous capable de me dire ce que vous avez mangé il y a deux mois?» demande la microbiologiste Danielle Ramsay, du Laboratoire d'expertise et d'analyses alimentaires. De plus, la bactérie se cache parfois dans la terre, et c'est en faisant du compost que des patients la contractent. Ce qui est impossible à détecter au moyen d'un questionnaire alimentaire.

Dans les cas de décès, les questionnaires doivent être remplis par des proches. Ce qui complique encore davantage l'enquête. Il est pratiquement impossible d'établir ce qui a été consommé par une tierce personne, sur une si longue période. La victime peut avoir visité plusieurs épiceries et plusieurs restaurants qui n'ont plus en main la nourriture qu'ils servaient deux mois avant la visite des inspecteurs.

Deuxième énigme

Le second décès, qui est survenu cet été à Sherbrooke, demeure aussi une énigme. On n'a pu établir quel aliment était responsable de la maladie, malgré l'intervention des inspecteurs.

Dans de tels cas mystérieux, le pulsovar de la bactérie est un indice précieux. Cette empreinte génétique permet d'établir s'il s'agit d'un cas isolé, puisque le Laboratoire de santé publique du Québec a en main les informations relatives à tous les cas de la province.

C'est ce qui a permis aux autorités québécoises d'établir l'année dernière que les cas de listériose du Québec n'étaient pas liés à la consommation de charcuterie Maple Leaf et qu'il y avait donc une deuxième éclosion, simultanée.

Dans les cas isolés, toutefois, on ne pousse pas l'enquête au-delà du questionnaire.

Shirley Baraconi, elle, s'est lancée dans sa propre enquête. Elle est déterminée à trouver ce qui a tué sa mère qui était, à ses yeux, bien plus qu'un cas isolé.