Alors que le système de santé est à bout de souffle et que les finances publiques dépérissent, des cliniques de physiothérapie surfacturent la CSST. Des patients sont ainsi traités inutilement, ce qui pourrait même nuire à leur santé.

Pour la première fois de son histoire*, la Commission de la santé et de la sécurité du travail (CSST) a intenté des procédures pénales et civiles contre une clinique privée de physiothérapie, qui l'aurait surfacturée pendant quatre ans, en contournant les règles.

 

Cette surfacturation s'effectuerait principalement de deux manières: en multipliant les traitements inutiles aux patients et en laissant des personnes non qualifiées professionnellement aministrer lesdits traitements.

Ce qui permet d'économiser de l'argent en salaires, tout en réclamant le tarif usuel. Il y aurait ensuite maquillage de dossiers, pour faire avaler la couleuvre aux organismes payeurs.

C'est ce que la CSST reproche à HTB Gestion de la douleur, un de ses plus gros fournisseurs de services médicaux privés. Occupant tout un étage au 5680, chemin Queen- Mary, la clinique a fermé après que la CSST eut mis fin, en novembre 2008, à l'entente de service qui les liait, et ait intenté des poursuites.

Au civil, la CSST réclame plus de 550 000$ à HTB et son dirigeant, le médecin physiatre Thierry Dahan, en remboursement de traitements qui auraient été donnés par 18 personnes non membres d'ordres professionnels, entre 2003 et 2007. Au pénal, 225 constats d'infraction ont été déposés contre la clinique pour la même raison, tandis que 168 constats ont été dressés contre le physiothérapeute Richard Bouzaglou, directeur des services de physio de cette clinique. On reproche à ce dernier d'avoir laissé des non-membres de l'Ordre des physiothérapeutes donner des traitements, et d'avoir falsifié des dossiers. Des accusations criminelles pourraient suivre, selon la CSST, qui assure aussi que d'autres cliniques font l'objet d'enquêtes actuellement.

HTB a été fondée en 2001 et offrait des services de médecine, de physiothérapie, d'ergothérapie et d'acupuncture. HTB aurait traité 2500 dossiers de la CSST entre 2004 et 2007, ce qui lui aurait permis d'encaisser plus de 5,5 millions. En moins grand nombre, HTB traitait aussi des patients de la SAAQ et d'assureurs privés.

L'enquête a duré plus de deux ans. Les enquêteurs de la CSST ont interrogé plus d'une centaine de témoins et analysé une quantité impressionnante de documents.

D'autres cas

Le Québec est la seule province canadienne où le nombre de traitements en physiothérapie n'est pas plafonné. Depuis 2007, une réévaluation du cas par un médecin est exigée au bout de huit semaines ou 30 traitements. Mais si le médecin donne le feu vert à la poursuite des traitements, c'est reparti. «On est lié par l'avis du médecin», confirme M. Turgeon. Quand la CSST soupçonne des sur-traitements, elle porte plainte aux ordres concernés. C'est à eux de sévir, en déontologie.

Dans le cas de HTB, des plaintes ont été portées, notamment au Collège des médecins et à l'Ordre des physiothérapeutes. En consultant les décisions discipl inai res de l 'Ordre professionnel des physiothérapeutes, on se rend compte que les traitements multiples et inutiles ne sont pas rares.

En juin 2008, le physiothérapeute Emad Abdel Rahman a écopé d'une radiation d'un an et d'une amende de 24 000 $ pour avoir donné 1642 traitements inutiles à 13 patients, dont 12 de la CSST, sur une période de 20 mois, dans sa clinique de Saint-Laurent. À titre d'exemple, alors qu'il ne démontrait plus aucune amélioration après cinq mois, l'un de ces patients a quand même reçu 323 traitements par la suite. «Les traitements étaient inutiles et possiblement néfastes» peut-on lire dans la décision du Comité de discipline.

Le physiothérapeute s'est défendu en disant que ces traitements étaient prescrits par des médecins, et que s'il avait refusé, les patients auraient été di rigés vers un autre physiothérapeute.

«C'est l'indice d'une situation grave, qui pourrait à la rigueur impliquer plusieurs physiothérapeutes», admet-on dans la décision du Comité de discipline. M. Rahman en appelle de sa condamnation et de la peine, qu'il juge extrêmement sévère. « Ils ont remonté cinq ans en arrière et ils ont sorti 12 dossiers «, a-t-il indiqué à La Presse, en laissant entendre que c'est peu sur toute une pratique.

Incompétence ou obligation?

Outre les physiothérapeutes, détenteurs obligatoirement de diplômes universitaires, l'Ordre regroupe aussi des thérapeutes en réadaptation physique. Ces derniers, diplômés du collégial, peuvent traiter des patients à condition d'avoir en mains une évaluation d'un physiothérapeute, ou un diagnostic précis d'un médecin. Or, on constate que des thérapeutes sont aussi condamnés pour traitements multiples. Incompétence, ou obligation de se plier à la politique de leurs patrons? Là encore, certains jugements de l'Ordre laissent entrevoir une réponse.

«L'intimée au moment des faits allégués était à l'emploi et pratiquait sa profession sous l'autorité des propriétaires ; il semble qu'elle n'ait fait que s'adapter aux directives de ses patrons et a accepté de se soumettre à un programme préétabli pour fournir les soins ou traitements requis. L'intimée était de bonne foi et n'a bénéficié d'aucun avantage pécuniaire puisque les honoraires pour traitements étaient remis aux propriétaires de cette clinique», lit-on dans des condamnations rendues en décembre, à l'endroit de quatre thérapeutes d'une même clinique, à Saint-Léonard.

En matière de physiothérapie, 95% de la clientèle de la CSST est traitée au privé. Certains croient que l'organisme, financé à hauteur de 2,3 milliards par les cotisations d'employeurs, aurait avantage à resserrer ses contrôles. «Le rapport d'étape est un document important qui permet, en principe, à la CSST d'effectuer le suivi d'un dossier...

Il n'y a pas d'argument favorable à tirer de ce contrôle de toute évidence inefficace de la CSST», peut-on lire dans la décision rendue par le Comité de discipline à l'égard du physiothérapeute Rahman. Dans ce cas précis, M. Rahman ava it signé des rappor ts d'étape, laissant croire qu'il avait lui-même vu aux traitements, alors qu'il se trouvait en vacances en Égypte.

Dans le même esprit, il est intéressant de savoir que le Dr Dahan, d'HTB, s'est établi en Israël il y a trois ou quatre ans, tout en conservant son droit de pratique au Québec. C'est donc dire qu'il a géré sa clinique à distance jusqu'à la fermeture. Il venait environ une fois par mois au Québec, pour rencontrer des patients. Son bras droit, le physiothérapeute Bouzaglou, travaille actuellement dans une autre clinique, à Dorval, dont il est actionnaire, avec des médecins.

HTB et M. Bouzaglou seront de retour devant le tribunal le 25 novembre, pour la communication de la preuve dans le cadre du procès pénal. Le physiothérapeute dit avoir «hâte de se défendre» devant le tribunal. «On m'accuse d'avoir aidé le propriétaire de la clinique à recevoir des paiements non justifiés. Il n'y a jamais eu d'intention de voler ou de frauder de ma part, ni du propriétaire, je pense. C'est une situation que je dois expliquer en cour. Il y avait une approche spécifique à HTB. Ici, c'est vraiment prescrit selon les normes», a-t-il indiqué à La Presse.

* Selon les archives de la CSST

 

La CSST en chiffres

Assureur public des travailleurs du Québec, la CSST est financée par les employeurs. En 2008, les cotisations de l'ordre de 2,277 milliards provenaient de 188 000 employeurs et couvraient 3158000 travailleurs.

> Le taux de cotisation est établi en fonction du risque (un bûcheron coûte plus cher à assurer qu'un travailleur de bureau) avec une moyenne de 2,10 des 100$ pour l'année en cours. L'an prochain, la cotisation sera haussée à 2,19$.

> L'an dernier, on a répertorié 150 000 accidents du travail, allant du doigt foulé, à la paraplégie et à la mort. La CSST a versé 1,8 milliard en indemnités de toutes sortes, incluant les frais d'assistance médicale et de réadaptation et le remplacement de revenus.

> En 2007, 681 cliniques privées offrant de la physiothérapie et de l'ergothérapie étaient enregistrées comme fournisseurs de service à la CSST. Quatre-vingt-quinze pour cent de la clientèle CSST est traitée au privé dans ce domaine.

> La CSST a versé 88,2 millions de dollars en traitements de physiothérapie et d'ergothérapie en 2008, soit 5,6 millions de plus qu'en 2007. Ces sommes n'incluent pas les indemnités de revenu versées aux patients en arrêt de travail.