Six enfants inuits d'âge préscolaire de l'Arctique sur 10, vivant dans une maison où l'insécurité alimentaire est très forte, ont déjà passé une journée complète sans manger parce que leurs parents n'avaient pas d'argent pour acheter de la nourriture. C'est ce que révèle une étude de l'Université McGill sur la santé des enfants du Nunavut, dont les résultats seront dévoilés aujourd'hui, et publiés dans le Journal de l'Association médicale canadienne.

Dans l'ensemble, 70% des enfants âgés de 3 à 5 ans vivent quotidiennement dans l'insécurité alimentaire dans le Grand Nord. Peur et insécurité. Faim. Ne pas manger à satiété. Voilà le constat de la chercheuse Grace Egeland, qui a mené les travaux au Centre pour la nutrition et l'environnement des peuples autochtones de McGill.

 

Pour en arriver à ces résultats, 204 fillettes et 184 garçons répartis dans 16 communautés du Nunavut, dont Pond Inlet, Iqaluit, Clyde River, Cambridge Bay et Igloolik, ont été sondés par l'entremise de leurs parents ou tuteurs. Toutes ces communautés sont situées au nord du 56e parallèle.

«Je savais qu'il y avait des problèmes d'alimentation chez les Inuits, mais pas à ce point-là, a expliqué à La Presse la docteure Egeland. Plusieurs parents ont versé des larmes en répondant au questionnaire. Ils n'ont pas l'habitude de parler de leurs malheurs, ou de se plaindre. Ce n'est pas dans leur culture, dans la culture inuit», ajoute-t-elle.

Les parents des foyers observés ont dû répondre à une vingtaine de questions portant sur leur alimentation. Ils ont été classés dans trois groupes: ceux jouissant d'une sécurité alimentaire jugée «stable», «modérée», c'est-à-dire plus ou moins bonne, et enfin, ceux aux prises avec une «forte» insécurité alimentaire.

Qu'ils soient dans un groupe ou l'autre, les Inuits interrogés ont tous peur de manquer de nourriture avant de recevoir de l'argent pour regarnir leur garde-manger. Chez ceux qui vivent avec une forte insécurité alimentaire, cette réalité est omniprésente, avec 95,5% des répondants qui ont dit s'inquiéter. Dans le groupe mieux pourvu sur le plan de la nourriture, plus du tiers (35,9%) ont quand même admis avoir peur de manquer de nourriture.

Plusieurs études ont déjà été menées sur la piètre qualité de l'alimentation dans le Grand Nord, (gras trans, sucreries, boissons gazeuses, produits surgelés, fritures, etc.), mais à la connaissance de la chaire de recherche de McGill, c'est la première fois qu'on se penche sur la quantité. «Les réponses sont suffisamment troublantes, estime la docteure Egeland, pour réclamer qu'une politique soit mise en place afin d'assurer de la nourriture à toutes les familles qui comptent de jeunes enfants.»

Pour l'instant, les familles les plus sévèrement touchées ont trouvé des solutions comme réduire les portions (73,3%), sauter un repas une ou même deux fois par mois (64,3%), manger de la nourriture de moindre qualité pour la santé (96%), ou encore acheter des aliments moins dispendieux (95,5%). Au Nunavut, on estime que le coût moyen d'un panier d'épicerie suffisant et équilibré pour nourrir une famille est de 428$.

Pour joindre notre journaliste: sara.champagne@lapresse.ca

 

428$

Coût moyen estimé d'un panier d'épicerie équilibré et suffisant pour nourrir une famille.

 

L'étude en bref

L'étude a été menée en 2007-2008, auprès de 388 enfants inuits, âgés de 3 à 5 ans, dans 16 communautés. La majorité des enfants (68%) vivaient avec leurs parents biologiques ou adoptifs. De ce nombre, 29% souffraient d'obésité et 39% d'un excédent de poids. On a observé une importante prévalence de logements sociaux, de soutien au revenu et de foyers surpeuplés. Source: Université McGill