La vie de Marie-Claude Lapierre a basculé deux fois. La première fois, c'était quatre jours après avoir fêté ses 18 ans, quand elle est devenue tétraplégique à la suite d'un plongeon dans la piscine hors terre de sa cour. La deuxième fois, c'était grâce à une première chirurgicale au Québec: un transfert tendineux. Une intervention qui lui a redonné l'usage de la main droite. Avec, à 24 ans, l'espoir de réinventer sa vie.

Marie-Claude Lapierre et sa physiatre, la Dre Géraldine Jacquemin, de l'Institut de réadaptation Gingras-Lindsay à Montréal, ont la complicité de deux vieilles amies. Des regards approbateurs s'échangent, de doux sourires, et voilà que la Dre Jacquemin se met à raconter à La Presse le parcours de combattante de sa patiente. Et, par la bande, le sien, pour parvenir à lui offrir une intervention appelée transfert tendineux : une procédure déjà bien implantée en Europe, mais qui en est à ses premiers pas au Québec.

 

Marie-Claude ne peut pas se déplacer sans son fauteuil roulant. Son chien-guide est sa carte d'accès vers le monde extérieur. La blessure à sa moelle épinière a paralysé son tronc, ses jambes en entier et une partie de ses bras. Avant l'opération, elle n'arrivait pratiquement pas à bouger les doigts de ses deux mains. Des activités simples comme mettre des rôties dans le grille-pain, se brosser les dents ou les cheveux étaient impossibles sans le port d'un bracelet adapté. Et la possibilité d'écrire à nouveau un jour n'était qu'un rêve, l'inaccessible étoile.

Il y a cinq ans, la Dre Jacquemin a commencé à s'intéresser à la possibilité d'un transfert tendineux sur Marie-Claude. Avec le soutien de la physiothérapeute et de l'ergothérapeute qui accompagnent Marie-Claude à l'Institut de réadaptation, la physiatre a donc commencé à planifier une opération.

«Un gros travail de collaboration, note-t-elle. Nous sommes allées rencontrer des spécialistes de l'Europe et des États-Unis.» Puis, un chirurgien plasticien de renom, le Dr Alain Danino, rattaché au CHUM, a accepté d'embarquer dans l'aventure. C'est lui qui a effectué l'opération à l'hôpital Notre-Dame, en octobre 2008.

«La chirurgie s'est faite en deux temps, explique la Dre Jacquemin. La première fois, on a pris un des muscles qui fait la flexion du coude de Marie-Claude. Comme elle en a trois, on en a pris un. Puis on l'a transposé dans sa main droite pour qu'il fasse l'extension des doigts de la main au lieu de celle du coude.»

Quatre semaines dans le plâtre. Quatre mois de réadaptation, à répéter quotidiennement les mêmes gestes pour obtenir l'ouverture des doigts. Le chirurgien a ensuite procédé à la deuxième étape, celle qui permettrait à Marie-Claude de fermer les doigts. Un muscle qui fonctionnait encore et qui faisait l'extension de son poignet droit a été prélevé. Il a été greffé sur les fléchisseurs de ses doigts.

Aujourd'hui, la main droite de Marie-Claude peut se serrer. Elle arrive à écrire, à faire des «doubles-clics» avec la souris de son ordinateur muni d'une application de prise de notes vocales. Elle peut préparer son déjeuner, se sécher les cheveux. Ouvrir des portes. Celles de son avenir.

«Quand j'ai eu mon accident, je n'avais pas terminé mes études collégiales. Maintenant, j'ai recommencé l'université, explique Marie-Claude. J'ai plusieurs idées. Je pense que je vais travailler en relation d'aide, mais mon choix n'est pas encore arrêté.»

Sans vouloir parler d'un «chemin de croix», Marie-Claude et son médecin s'entendent pour dire que l'opération est exigeante. «C'est six mois, un an supplémentaire de réadaptation à ajouter à celle du trauma. Alors, il faut y penser comme il faut», dit Marie-Claude.

«C'est du cas par cas, précise la Dre Jacquemin. Mais la raison pour laquelle on accepte d'en parler aujourd'hui, c'est qu'on y croit. Maintenant, on peut dire aux patients qu'il y a de l'espoir une fois qu'ils se rétablissent sur le plan moteur. On a commencé lentement mais sûrement, parce qu'on ne voulait pas créer inutilement de listes d'attente.»

 

Le transfert tendineux

Le transfert tendineux consiste à déloger un muscle qui fonctionne encore, dans un membre qui peut fonctionner sans sa présence, pour le loger dans une autre partie supérieure touchée par une paralysie. La procédure chirurgicale en tant que telle n'est pas complexe, mais elle demande une évaluation minutieuse de la mobilité des muscles et des membres au préalable, et une longue période de réadaptation. Au Québec, un seul autre transfert tendineux a été effectué depuis l'intervention pratiquée à la main de Marie-Claude Lapierre, cette fois sur un tétraplégique de la région de Granby. Le chirurgien était le même: le Dr Alain Danino, du CHUM, reconnu pour la reconstruction faciale. En Suède, on estime que 30 à 40% des tétraplégiques bénéficient d'un transfert tendineux.

 

En chiffres

> Dans l'ouest du Québec, il y a de 120 à 130 nouveaux cas de lésions médullaires par année, dont la moitié sont des tétraplégies;

> Plus de 41 000 Canadiens vivent avec une lésion médullaire, et on enregistre chaque année 1200 nouvelles lésions au pays;

> 84% des blessés ont moins de 34 ans;

> Les causes les plus communes de lésions médullaires au Canada sont les collisions en véhicules motorisés (55%), les autres conditions médicales et les blessures sportives (27%), et les chutes (18%).

- Source: Institut de réadaptation Gingras-Lindsay à Montréal

** Le transfert tendineux pratiqué sur Marie-Claude Lapierre a été rendu possible grâce à la collaboration d'Antoinette De Lure, ergothérapeute, et Isabelle Robidoux, physiotherapeute, qui se sont consacrées à la longue réadaptation.