L'idée de taxer la malbouffe fait son chemin au Québec. Les jeunes libéraux sont en faveur d'une nouvelle taxe applicable sur certains aliments à très faible valeur nutritive. La Coalition Poids demande au gouvernement de commencer par taxer, le plus vite possible, les boissons gazeuses et les boissons énergisantes. Plusieurs sont d'accord avec cette idée, laquelle compte aussi de nombreux détracteurs qui estiment qu'on ira chercher de l'argent dans les poches des plus démunis sans leur proposer de solutions de rechange.

«Les taxes sur la malbouffe ne donnent pas nécessairement les résultats escomptés, estime Gale West, professeure au Centre de recherche en économie agroalimentaire de l'Université Laval. Le problème, c'est la substitution. Si on taxe seulement une partie des boissons sucrées, les consommateurs pourraient délaisser les boissons gazeuses pour les remplacer par des boissons en poudre à parfum de pêche ou du thé glacé très sucré. Ça ne serait pas mieux.»

La Coalition sur la problématique du poids - la Coalition Poids - défend le projet avec vigueur, malgré les bémols de plus en plus nombreux qui s'élèvent, ici et ailleurs, contre cette mesure.

«On doit procéder par étapes. Pour nous, les boissons gazeuses sont la première étape parce que des données scientifiques prouvent qu'elles sont un facteur de l'obésité», estime Suzie Pellerin, directrice de la Coalition. «De plus, dit-elle, des études ont prouvé que, en augmentant le prix des boissons gazeuses, on diminue leur consommation.»

Une des études qui ont évalué l'impact des mesures pécuniaires sur la consommation alimentaire a été réalisée par le Centre Rudd sur la politique alimentaire et l'obésité de l'Université Yale, au Connecticut.

Elle conclut que chaque augmentation de 10% du prix des sodas se traduit par une diminution de plus de 8% de leur consommation. Toutefois, les chercheurs concluent aussi qu'il faudrait faire des études supplémentaires pour voir par quoi ont été remplacées ces boissons. «Nous avons besoin de nouvelles données pour évaluer vers quoi se tourneront les grands consommateurs de boissons gazeuses», explique Tatiana Andreyeva, l'une des auteurs de cette étude, jointe à son bureau de Yale.

Cette économiste est particulièrement préoccupée par l'effet de telles mesures sur les familles à faible revenu.

Elle n'est pas la seule.

«Si on augmente les loyers dans le Bronx, les gens ne vont pas déménager sur Park Avenue», lance d'entrée de jeu Adam Drewnowski, directeur du Centre de recherche sur l'obésité à l'Université de Washington. Les plus démunis se tourneront vers des produits moins coûteux, dit-il, pas l'inverse. «C'est vrai que si on augmente le prix des sodas, les gens en boiront moins, mais ils ne mangeront pas plus de fraises», maintient-il.

Le Dr Drewnowski s'intéresse aux liens entre l'obésité, les revenus, l'éducation et le taux de chômage, bien que le sujet soit encore très délicat. «On déteste parler des pauvres, lance le professeur d'épidémiologie. Mais nous savons qu'il se consomme plus de sodas dans les foyers à faibles revenus.»

Afin de démontrer la corrélation entre obésité et revenus, le Dr Drewnowski a établi une carte du taux d'obésité selon les codes postaux des quartiers de Seattle, où se trouve l'Université de Washington. Le résultat est à couper le souffle : il y a systématiquement moins d'obèses dans les quartiers cossus de la ville.

«Malgré cela, on s'entête à taxer la malbouffe», déplore-t-il.

Mesure populaire

Plusieurs États américains ont effectivement déjà des taxes sur les boissons gazeuses. Plusieurs autres y songent. Le président Obama avait semblé ouvert à l'idée, à son arrivée à la Maison-Blanche. Son administration ne semble plus pressée d'instaurer la mesure dans tout le pays.

C'est que la puissante industrie des boissons s'y oppose fortement. Les fabricants de boissons gazeuses ont mis sur pied le mouvement No Food Taxes aux États-Unis. On lance ainsi l'idée que la taxe sur les sodas n'est que la pointe de l'iceberg, que rien n'empêchera ensuite le législateur de s'attaquer au lait au chocolat, aux biscuits et à d'autres articles du panier d'épicerie.

Un autre aspect de la question est délicat : si l'on taxe les boissons dans leur version originale, doit-on également taxer la version «diète»? Au Québec, la Coalition Poids estime que oui. «Nous les incluons parce qu'elles entretiennent le goût du sucré», estime Suzie Pellerin.

La Dre Tatiana Andreyeva a un autre point de vue : «Si nous taxons uniquement les versions originales, les boissons sans sucre auront l'attrait d'être moins chères. Peut-être que des grands consommateurs de cola deviendront des consommateurs de cola "diète".» Ce ne serait pas un grand gain sur la valeur nutritive, admet-elle, mais pour lutter contre l'obésité, ce serait déjà ça.

Une canette de cola ordinaire compte environ 160 calories ; sa version sans sucre n'en a aucune. Un bon buveur de cola qui fait la substitution, à raison de deux canettes par jour, perdra une trentaine de livres au bout d'un an sans changer son rythme de vie.

Idéalement, poursuit la Dre Andreyeva, il faudrait que la taxe sur les boissons gazeuses soit accompagnée d'une subvention pour réduire le coût des fruits et légumes. On devrait aussi envisager d'utiliser les fonds recueillis avec la taxe pour faire de l'éducation sur la saine alimentation.

La Coalition Poids est d'accord. Elle estime qu'avec une taxe de 0,05$ le litre, le gouvernement québécois récupérerait 40 millions de dollars qu'il pourrait investir en prévention de l'obésité.

Calories bon marché

C'est bien, mais c'est mettre la charrue devant les boeufs, estime François Décary-Gilardeau, analyste agroalimentaire à Option consommateurs : «On punit des comportements malsains avant de favoriser les comportements sains.»

«Le prix du lait a augmenté de 20% depuis cinq ans, note-t-il. Deux litres de jus d'orange coûtent pratiquement 4$ alors que la boisson à l'orange sucrée est vendue 1,99$. Même prix pour deux litres de Coke.» «Dans la région de Montréal, certains quartiers sont des déserts alimentaires. Les gens doivent faire leur marché au dépanneur, estime François Décary-Gilardeau. Comment voulez-vous trouver des aliments nutritifs dans un dépanneur?»

Une nouvelle étude du Dispensaire diététique de Montréal révèle que des familles disposant de peu de moyens ne consacrent que 4,50$ par personne, par jour, à l'alimentation. L'organisme a calculé que pour se nourrir sainement, un Montréalais doit dépenser au moins 6,76$ par jour.

Les aliments riches en calories et à faible valeur nutritive coûtent moins cher, en général, rappelle Adam Drewnowski. «On ne peut pas les taxer d'un coup sans proposer de solution de rechange ni de programme d'éducation. Il faut savoir où trouver les calories abordables et comment les cuisiner, dit-il. Savoir cuisiner est la meilleure arme contre l'obésité.»