La mort d'une patiente de 64 ans à l'hôpital du Sacré-Coeur, l'été dernier, aurait peut-être pu être évitée si la salle de réanimation n'avait pas été bondée, ce qui a empêché les médecins de prodiguer les soins adéquatement, affirme un rapport du Bureau du coroner obtenu par La Presse. Ce document circule depuis plusieurs jours dans le réseau de la santé. Ses conclusions choquent et suscitent beaucoup de nervosité. «Si nos salles d'urgence ne sont plus en mesure de réanimer avec certains standards minimaux, autant conclure que notre système de soins renonce à réanimer», affirme le coroner Jacques Ramsay.

La Montréalaise Marielle Bossé, 64 ans, était une femme à la santé fragile. Alcoolique et fumeuse, elle était amputée de la jambe droite et souffrait de graves problèmes circulatoires, pulmonaires et cognitifs. Le 25 mai 2009, le neveu de Mme Bossé se présente chez elle parce qu'il est sans nouvelles d'elle depuis trois jours. Il la trouve fort mal en point.

La dame a le teint grisâtre et vomit des sécrétions brunâtres. L'ambulance vient la chercher. Mme Bossé arrive à 22 h 19 aux urgences de l'hôpital du Sacré-Coeur. Environ 10 minutes plus tard, l'infirmière au triage lui accorde un code de priorité 2, «ce qui signifie qu'il s'agit d'une condition très urgente qui menace la vie de la patiente», écrit le coroner Ramsay.

Dans un «garde-robe»

À 22h32, Mme Bossé tombe en arrêt respiratoire. Elle est immédiatement transportée dans la salle de réanimation. Mais ce soir-là, les deux salles de réanimation, conçues pour six patients, en traitent treize. «C'est comme si on avait demandé au personnel de l'urgence de travailler dans un garde-robe plutôt que dans ce qui devrait être la salle de réanimation la plus moderne du Québec», déplore le coroner Ramsay.

Pour faire un peu de place autour de la civière de Mme Bossé, les infirmières sortent deux patients sur civière, dont un détenu menotté. Entre-temps, le personnel médical tente de réanimer Mme Bossé, mais il manque de matériel. «Il n'y a pas de ballon d'Ambu qui soit disponible ni d'ailleurs de plateau d'intubation endotrachéal, car ceux-ci ont servi pour un autre patient quelques minutes plus tôt», résume M. Ramsay.

Le coroner est très critique : «En matière de réanimation, chaque minute, chaque seconde compte. Ce n'est pas le temps de pousser la civière du voisin, d'avoir la voisine qui regarde par-dessus votre épaule (...) et ce n'est certainement pas le temps d'avoir à enlever les menottes d'un détenu qui est a priori présumé dangereux puisque menotté.»

Pas de marge de manoeuvre

Le soir du 25 mai 2009, l'espace est si restreint dans la salle de réanimation que les infirmières sont incapables d'installer une intraveineuse périphérique à leur patiente. Un médecin tente lui aussi une manoeuvre semblable, «mais il est gêné par le manque d'espace», révèle le coroner. À 22h59, la mort de Mme Bossé est constatée.

Pour le coroner Ramsay, lors de cette soirée tragique, la salle de réanimation de l'hôpital du Sacré-Coeur n'avait «plus de réanimation que le nom». «Le concept d'une salle moderne et bien aérée où le personnel peut évoluer facilement pour répondre rapidement aux besoins des patients n'existe plus», dit-il. Le personnel devait «jouer du coude pour accéder à la patiente».

Le coroner explique que plusieurs patients qui se trouvaient en salle de réanimation étaient «gardés en observation bien que leur état ne requérait pas le niveau de soins généralement dispensés dans cette salle».

Selon lui, cette situation «non seulement compromet la santé des usagers, mais représente indéniablement une source de stress inutile pour le personnel dont les conditions de travail sont déjà suffisamment difficiles». Le coroner ignore si Mme Bossé aurait survécu si les conditions avaient été différentes ce soir-là. Mais «ses chances auraient, à l'évidence, été meilleures».

«La salle de réanimation n'est pas un stationnement pour des patients (...) Cette façon de faire met en péril la mission même de l'urgence. Il s'agit d'une situation qui frise le ridicule et, franchement, le coroner ne devrait pas avoir à écrire ces choses», conclut M. Ramsay.

Le coroner recommande d'ailleurs à l'hôpital du Sacré-Coeur de faire en sorte que seuls les patients instables occupent la salle de réanimation «afin de s'assurer que le personnel soit en mesure de composer avec l'inattendu».

L'hôpital du Sacré-Coeur a refusé de commenter les événements ayant mené à la mort de Mme Bossé au motif que le rapport du coroner «n'est pas public», selon la porte-parole de l'établissement, Josée-Michelle Simard.

Cette dernière assure que, depuis deux ans, l'hôpital a «plein de programmes pour optimiser le roulement de patients». Mme Simard explique que la fréquentation des urgences a augmenté de 10 % en deux ans. «Et il y a des pics où c'est plus difficile à réguler. Mais on travaille constamment là-dessus», dit-elle.

- Avec la collaboration d'André Noël