Pierre Latulippe, 57 ans, est entré à l'hôpital Notre-Dame du Centre hospitalier de l'Université de Montréal (CHUM) le 8 février, en vue de subir une intervention cardiaque.

Mais la grave crise qui touche actuellement les services de soins intensifs de la métropole a entraîné le report de son opération 10 fois. Ce n'est que le 18 février qu'il est finalement passé sous le bistouri.

«Il était minuit moins une. Quand les médecins m'ont ouvert, il ont vu que j'avais besoin d'un quadruple pontage. Je vivais avec une bombe à retardement à l'intérieur de moi. Chaque jour d'attente me mettait encore plus à risque», raconte M. Latulippe, qui habite à Sainte-Thérèse.

M. Latulippe a appris qu'il avait des problèmes cardiaques en 2002. Mais pendant plusieurs années, incapable d'avoir accès à un cardiologue, il a mis son problème de côté. Ce n'est qu'en novembre dernier qu'il a finalement consulté un spécialiste. «Il m'a dit que trois artères de mon coeur étaient bloquées, que l'opération pressait et que je l'aurais vers la fin de janvier», relate-t-il.

Le CHUM a demandé à M. Latulippe de se présenter, à jeun, pour son opération le 8 février. Mais elle a été reportée. M. Latulippe a dormi à l'hôpital et s'est préparé pour le lendemain. Mais tout a encore été annulé. Le même manège s'est reproduit pour un total de 10 jours. «Chaque fois, je devais être à jeun! Mais on annulait mon opération parce qu'il manquait de lits aux soins intensifs», témoigne M. Latulippe.

Le chef du service des soins intensifs du CHUM, le Dr Tudor Costachescu, confirme que le manque de personnel aux soins intensifs entraîne la fermeture de plusieurs lits et force le report de dizaines d'opérations comme celle de M. Latulippe. «J'ai de 25 à 30 lits fermés ici à cause du manque de personnel, affirme le Dr Costachescu. À cause de ça, on doit constamment remettre des interventions cardiaques, mais aussi des interventions en neurochirurgie, des opérations pour le cancer et des traitements de radiologie.»

Meilleures conditions

La crise qui touche les soins intensifs à Montréal n'est pas récente. Elle dure depuis plus d'un an. «Mais absolument rien n'a été fait pour la régler, déplore le Dr Costachescu, qui croit que la solution passe par l'offre de conditions de travail plus intéressantes aux infirmières des soins intensifs. Des primes ont été mises en place. Mais ce n'est pas suffisant. Ça prend du leadership du gouvernement pour régler le dossier.»

Le Dr Costachescu mentionne qu'un patient dont l'opération est reportée voit sa santé mise à risque. «Si quelqu'un a un cancer et qu'on reporte son opération de plusieurs semaines, qui sait à quel point son cancer se sera répandu? Imaginez le stress de ces gens... C'est tragique.»

M. Latulippe, lui, est encore choqué d'avoir vu son opération reportée 10 fois. Il ne comprend pas comment le gouvernement peut tolérer de mettre des patients ainsi à risque. «Mon coeur était vraiment mal en point. Une simple émotion forte et j'aurais pu y passer... Cette attente est très dangereuse, dit-il. Le personnel fait son possible, mais notre système de santé a de sérieux ratés. Avec ce qu'on paie en impôts au Québec, ça n'a pas de bon sens.»

Éclipsé par les urgences

Le Dr Costachescu déplore qu'actuellement, la crise qui touche les urgences éclipse totalement les autres problèmes vécus dans les milieux hospitaliers, dont ceux aux soins intensifs. «Les directions d'hôpitaux qui n'ont pas de bonnes statistiques aux urgences se font chicaner. Donc dès qu'un lit se libère aux étages, on y place un patient des urgences pour avoir de meilleures statistiques. Mais pendant ce temps, les soins intensifs débordent et les opérations électives sont reportées, explique-t-il. Contrairement aux patients des urgences qui sont tout de même soignés dans les couloirs, ceux qui attendent chez eux pour avoir une opération ne reçoivent aucun traitement.»