Le ministre de la Santé, Yves Bolduc, s'était engagé à créer 500 postes d'infirmières praticiennes spécialisées au Québec. Mais le réseau n'en compte toujours que 58. L'embauche de superinfirmières se fait au compte-gouttes, car les hôpitaux manquent d'argent.

La Montréalaise Stéphanie Béchard, l'une des rares infirmières qui souhaitent se spécialiser en cardiologie, est incapable d'obtenir une promesse d'embauche et pourrait devoir quitter son programme, a appris La Presse.

Après avoir travaillé pendant trois ans comme infirmière aux urgences et aux soins intensifs à Montréal, Mme Béchard, 25 ans, a voulu se spécialiser. En suivant une formation universitaire de deux ans, elle pourrait devenir infirmière praticienne spécialisée (IPS), ce qui lui donnerait le droit notamment de prescrire des médicaments et de poser des diagnostics simples. «Je crois que c'est la solution pour améliorer l'accès aux soins au Québec», dit Mme Béchard.

L'été dernier, la jeune femme a été acceptée au programme de maîtrise de l'Université de Montréal. Immédiatement, elle a entrepris des démarches pour trouver un emploi - obtenir une promesse d'embauche est primordial pour les futures IPS.

«La formation demande beaucoup d'heures d'études. Pour éviter que nous ayons à travailler en étudiant, le gouvernement nous donne des bourses. Pour y être admissible, il faut avoir une promesse d'embauche. Mais c'est très difficile à obtenir !» dénonce Mme Béchard.

À la recherche d'un emploi, l'étudiante s'est adressée au Centre hospitalier de l'Université de Montréal (CHUM) l'été dernier. «On voulait m'engager au service de chirurgie cardiaque. Les listes d'attente ont augmenté dans ce domaine et on pensait qu'une infirmière praticienne pourrait aider», dit-elle.

Mme Béchard a donc signé sa partie du contrat avec le CHUM. Mais l'hôpital n'a jamais signé la sienne. «En décembre, le CHUM m'a dit qu'il n'avait pas de budget pour m'engager», dit-elle - ce qu'a confirmé la porte-parole du CHUM, Nathalie Forgues.

La jeune infirmière s'est ensuite adressée à l'hôpital du Sacré-Coeur, qui a aussi refuser de l'engager, faute de budget.

La directrice générale de l'Association québécoise des établissements de santé et de services sociaux, Lise Denis, confirme que les hôpitaux n'ont pas suffisamment d'argent pour engager des superinfirmières. «Le gouvernement verse 20 000 $ par année aux hôpitaux pour engager des infirmières praticiennes. Mais ça ne suffit pas pour couvrir tous les coûts. Car quand on engage une praticienne, il faut carrément créer un nouveau poste», dit Mme Denis.

«Il faut que de l'argent soit dégagé dans le prochain budget pour faciliter l'embauche des praticiennes, soutient Mme Béchard. Sinon, les filles ne vont pas rester dans ces programmes.»

En attendant, la jeune femme est découragée. Pour arriver financièrement, elle doit travailler 24 heures par semaine aux soins intensifs à l'hôpital Maisonneuve-Rosemont en plus d'assister à 12 heures de cours, d'étudier et de faire ses travaux. «Pour l'instant, je réussis à survivre. Mais si ça ne débouche pas, si je n'ai pas de certitude de trouver un emploi, je ne prendrai plus ce risque. J'ai vraiment envie d'être infirmière praticienne. Mais je ne peux pas continuer comme ça.»

Menace de fermeture des programmes

Les hôpitaux ne sont pas les seuls à manquer d'argent pour les IPS. Les universités québécoises, dont plusieurs sont déficitaires, demandent depuis plusieurs mois au gouvernement de financer le programme de formation.

«Ce programme coûte très cher. Certaines universités pensent à le suspendre si rien n'est fait», explique le vice-recteur aux études de l'Université Laval, Bernard Garnier.

Les universités ont rencontré le ministère de la Santé et le ministère de l'Éducation la semaine dernière. «Il n'y a pas encore de conclusion sur la table. Une autre rencontre est prévue le 1er avril. On demeure optimiste. Mais on est très nerveux», souligne M. Garnier.

Sans dire que le programme de formation des superinfirmières est «moribond», M. Garnier reconnaît que les inscriptions sont à la baisse. «Les hôpitaux n'ont pas d'argent pour engager les étudiantes. Donc les infirmières hésitent à pousser leur formation. Il reste pas mal de ficelles à attacher. On attend vraiment de l'argent», résume M. Garnier.

Au cabinet du ministre Bolduc, on réitère que les infirmières praticiennes sont une «priorité» et que des annonces pourraient bientôt être faites à ce sujet.