Il y a 14 voitures dans le stationnement. Elles ont toutes le nez pointé vers la porte d'entrée de la Clinique de la Montée de la Baie, à Saint-Joseph-du-Lac. Il est 8 h 14. On gèle. Mercure à - 10. Dans chacune des voitures, des gens au teint blafard attendent l'ouverture des portes pour la prise des sans rendez-vous.

8h30. Les portières des voitures s'ouvrent rapidement. Les patients s'agglutinent dans l'entrée de la clinique. Malgré l'urgence du moment, un homme prend le temps de laisser passer une vieille dame appuyée sur une canne. Et vlan. La porte de la clinique se referme.

Dix minutes plus tard, une femme entre péniblement. Elle ressort au bout de deux minutes, l'air découragé en mentionnant à La Presse que c'est complet, avec la liste des cliniques sans rendez-vous de la région à la main. Au comptoir, la réceptionniste médicale s'excuse. Elle explique, en tenant 13 cartes «soleil» comme s'il s'agissait d'un jeu de cartes, qu'il y aura du sans rendez-vous de 17 à 19h30, et qu'on peut toujours essayer de s'inscrire à 16 h.

Pendant ce temps, à la clinique Deux-Montagnes, on a déjà installé une pancarte à la porte d'entrée indiquant «complet pour la journée». Il est 8h50. La Presse se dirige donc vers Saint-Eustache, à la Polyclinique de la rue Grignon, juste en face du centre hospitalier. On a pris les 30 premiers patients. Et on précise que c'est complet pour la journée depuis 7h50.

À Sainte-Adèle et Saint-Jérôme, ce n'est même pas la peine d'y penser, indique une téléphoniste. Il n'y a pas de sans rendez-vous le vendredi dans la première clinique. Et dans l'autre, on explique que c'est complet et que c'est toujours fermé en soirée, de même que les fins de semaine.

Reste la liste obtenue à la clinique de Saint-Joseph-du-Lac. On y propose quelques adresses pour le sans rendez-vous, mais sur le territoire de Laval. Une demi-heure de route dans les embouteillages. Il est presque midi.

Situation courante

Ce genre de situation est monnaie courante dans la couronne nord de Montréal. Résultat : la clientèle des Basses-Laurentides et même celle plus au nord se «déverse» à Laval, explique le Dr Claude Saucier, président des omnipraticiens de Laval et vice-président de la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec (FMOQ).

«À la clinique Concorde, où je pratique, on y arrive, explique le Dr Saucier. Nous sommes 23 médecins au total. Mais le débordement du Nord est assez impressionnant. C'est un problème. Et durant la fin de semaine, ou lors des longs congés comme Pâques, c'est pire. C'est pire parce qu'il y a moins de médecins.»

Le Dr Saucier dit que les médecins de famille de Laval sont «dans le jus» 365 jours par année. Souvent, les patients n'ont pas de médecin de famille. Les omnipraticiens sont obligés de les référer au guichet pour clientèle orpheline.

«Des personnes âgées qui arrivent avec leur sac de pilules, c'est fréquent, ajoute le Dr Saucier. Elles ont perdu leur médecin, qui a pris sa retraite. Notre code de déontologie nous dicte d'offrir une période de traitement aux patients. Mais quand il s'agit de pathologies, on ne parle plus d'un suivi de maux d'oreilles. C'est la partie désagréable, ça nous met de la pression, sur le réseau aussi.»

Dépannage

Le Dr Jean Champagne pratique du sans rendez-vous dans la région de Mont-Tremblant. Il a 60 ans. Il se considère comme relativement jeune comparativement à ses deux collègues, âgés de 62 et 65 ans. En plus de faire du sans rendez-vous sur une base quotidienne, en rotation, sauf pour le médecin de 65 ans admissible à la retraite, les trois médecins ont chacun entre 1500 et 2000 patients réguliers.

«Nous ne sommes que sept médecins pour desservir la région et on doit faire du dépannage dans les municipalités avoisinantes, jusqu'à Labelle, Lac-Carré, La Conception et le Lac-Supérieur. On espère pouvoir attirer des jeunes médecins dans la région mais le dépannage semble en décourager plus d'un», estime le Dr Saucier.

En plus du dépannage, il explique qu'en raison du manque d'orthopédistes et de spécialistes, ses deux confrères et lui doivent souvent faire de la médecine de deuxième ligne. C'est-à-dire des suivis en hospitalisation. «On fait même du tapis roulant», illustre le Dr Champagne, en parlant des blessures orthopédiques.

«La Grande Séduction ne consiste pas à rendre la région attrayante», ajoute le Dr Champagne.

«Nous sommes dans un secteur de villégiature, où la qualité de vie est bonne, pas trop loin de Montréal. Et on a un bon milieu pour élever les enfants. Ce n'est donc pas ça le problème. Le problème se situe plutôt au niveau de la charge de travail, du service de dépannage. Et des soins de deuxième ligne à prodiguer.»