Les pharmaciens du Québec sont exaspérés par les mauvaises écritures des médecins. Le phénomène des ordonnances illisibles est à ce point préoccupant que le président du Collège des médecins vient à nouveau de servir une sévère mise en garde à ses membres, en encourageant les pharmaciens à dénoncer les fautifs, a appris La Presse.

En fait, il ne se passe pas une semaine sans que le département des enquêtes ne soit saisi d'une plainte, indique-t-on au Collège des médecins. La Régie de l'assurance maladie du Québec (RAMQ) recevrait pour sa part des centaines d'appels, chaque semaine, de la part de pharmaciens obligés de vérifier des ordonnances incomplètes, où les signatures des médecins sont carrément illisibles, sans numéros de permis à côté.

 

Cette seconde mise en garde du président du Collège des médecins, le Dr Yves Lamontagne, découle d'un sondage en ligne mené par L'actualité pharmaceutique, auprès de 150 pharmaciens, qui démontre clairement leur exaspération. Dans 55% des cas, quand une ordonnance est illisible, les pharmaciens rapportent qu'ils sont obligés d'appeler le médecin. Mais dans 44% des cas, les pharmaciens disent qu'ils sortent de leurs gonds et déchiffrent l'ordonnance «au meilleur de leur jugement», par manque de temps pour appeler le médecin fautif.

«Je ne comprends pas pourquoi personne n'a fait quelque chose à ce sujet, déplore l'un des pharmaciens qui a répondu au sondage. Ces médecins se foutent de tout le monde. On sait que c'est dangereux parfois. Nous avons autre chose à faire. Et les médecins ne sont pas toujours disponibles», ajoute-t-il.

Devant le phénomène, les pharmaciens sont nombreux, soit un sur quatre, à espérer la venue de l'ordonnance électronique dans l'ensemble de la province. À ce sujet, malgré des centaines de millions investis dans le programme d'informatisation de la santé au Québec, les médecins ne sont pas encore soumis à un système uniformisé d'ordonnance électronique.

Bien au fait de la problématique, Diane Lamarre, présidente de l'Ordre des pharmaciens du Québec, est d'accord pour dire qu'il faudrait introduire les prescriptions électroniques et ajoute que les ordonnances illisibles sont responsables de 16% des réclamations effectuées auprès du fonds de l'assurance responsabilités de la profession pharmaceutique. De l'ensemble de ces erreurs dues à une ordonnance illisible, la moitié concernerait la posologie indéchiffrable ou encore la façon de prendre le médicament.

«Les ordonnances illisibles sont l'un des reflets de la saturation de notre système de santé, estime Mme Lamarre. Tout le monde doit faire plus vite. Quand un pharmacien doit appeler un médecin pour vérifier une ordonnance, il perd du temps pour se pencher sur les effets secondaires, l'interaction entre les médicaments, les risques d'allergies. Les risques d'erreurs sont donc bien réels.»

Il y a quelques années, l'Ordre des pharmaciens avait pourtant travaillé en collaboration avec le Collège des médecins afin de produire un guide de l'ordonnance des médicaments. La Revue médicale a pour sa part déjà consacré un dossier au sujet, en publiant des ordonnances illisibles et surtout, en lançant le défi à des médecins de les décoder. Les pharmaciens travaillent aussi de concert avec des médecins pour remplir les documents comparatifs des ordonnances des patients hospitalisés à l'admission ou lorsqu'ils obtiennent leur congé.

Le Dr Yves Lamontagne n'a pas donné suite à une demande d'entrevue, hier. Au Collège, la porte-parole, Leslie Labranche, a indiqué qu'il «n'y a pas de raison en particulier expliquant pourquoi les médecins écrivent mal à ce point».

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Normes pour les ordonnances

Selon l'article 3 du Règlement sur les normes relatives aux ordonnances faites par un médecin, il est stipulé que le médecin qui rédige une ordonnance individuelle doit y inclure:

1° son nom, imprimé ou en caractères d'imprimerie, son numéro de téléphone, son numéro de permis d'exercice et sa signature;

2° le nom et la date de naissance du patient;

3° la date de rédaction de l'ordonnance;

4° s'il s'agit d'un médicament:

a) le nom intégral du médicament, en caractères d'imprimerie, lorsqu'il est similaire au nom d'un autre médicament et que cela peut prêter à confusion;

b) la posologie, incluant la forme pharmaceutique, la concentration, s'il y a lieu, et le dosage;

c) la voie d'administration;

d) la durée du traitement ou la quantité prescrite;

e) le nombre de renouvellements autorisés ou la mention qu'aucun renouvellement n'est autorisé; (...)