Le Dr Louis Godin a 30 ans de médecine derrière le stéthoscope. Il a soigné des gens en cabinet, en centre hospitalier et en centre d'hébergement de courte et de longue durée. Il y a près de trois ans, il a succédé au Dr Renald Dutil à la présidence de la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec. La pénurie de médecins de famille commençait alors à peine à faire rage dans les régions. Et le Dr Godin était loin de se douter qu'un jour, il serait à la tête de la plus vaste opération publique de la FMOQ, dans l'espoir de régler une fois pour toute la crise des soins de santé de première ligne au Québec.

Q : Quand vous avez accepté la présidence de la FMOQ, vous avez dit que vous vouliez «améliorer la santé» des médecins de famille. Façon de dire qu'il y avait un problème. Aujourd'hui, vous dites que, si on ne fait rien, on va vers un mur. Est-ce que vous appréhendiez une pareille crise?

 

R : En fait, quand je suis arrivé, on commençait à sentir qu'il y avait des problèmes. On avait fait une tournée des régions et on sentait les difficultés d'avoir un médecin de famille. Mais c'était surtout dans les régions. La pénurie a fait tache d'huile et s'est étendue à toute la province. Aujourd'hui, on est dans une situation catastrophique pour les patients. Et pour les médecins, c'est intolérable parce qu'ils ne sont plus capables de faire ce qu'ils ont à faire et parce qu'ils en ont trop à faire.

Q : Est-ce qu'on a déjà vécu une situation aussi catastrophique au Québec?

R : Jamais. J'ai pratiqué durant 30 ans; je me souviens de ce que je faisais il y a 25 ans et des conditions dans lesquelles nous étions quand j'ai quitté ma pratique. Aujourd'hui, quand j'écoute les médecins que je représente, je me dis que c'est pire. C'est dramatique. Et tout ça souligne l'urgence de faire quelque chose.

Q : D'où provient cette situation catastrophique? Autrement dit, à qui la faute?

R : Je pense qu'il est très difficile de distinguer un événement ou une chose qui a conduit à cette crise. De la même façon, la solution ne réside pas dans une seule et unique chose. Plusieurs circonstances combinées, dont la formation, le soutien à la pratique et l'écart de rémunération des omnipraticiens avec les spécialistes, nous ont menés à la situation actuelle.

Q : Cette semaine, vous avez lancé une campagne publicitaire avec un court métrage qui, jeudi matin, avait déjà été visionné plus de 20 000 fois sur YouTube. Mais quel est votre plan pour obtenir des changements concrets?

R : On a rencontré les étudiants dans les facultés de médecine pour mieux faire connaître la médecine familiale. En ce qui concerne l'organisation de la pratique et la rémunération, on a présenté nos demandes au gouvernement. On nous a dit qu'on examinerait cela aux prochaines négociations. On est dans ces négociations.

Q : Avez-vous l'impression d'être non seulement entendu, mais aussi «écouté» par Québec?

R : Il est trop tôt pour le dire. Ce que j'entends du ministre de la Santé, c'est que valoriser la médecine familiale est une priorité. Pour le gouvernement, que les Québécois aient accès à un médecin de famille, c'est une priorité. On commence nos discussions. Ce qu'on veut, ce sont des gestes concrets, pas seulement quelque chose d'entendu.

Q : Que pouvez-vous dire aux gens inquiets, malades, qui n'ont pas de médecin de famille, pour les rassurer?

R : On a entrepris de donner la parole aux gens du Québec au cours des deux derniers jours, sur Facebook notamment. Ces témoignages vont renforcer la nécessité d'avoir des médecins de famille. C'est évident qu'on ne peut pas mettre fin à la pénurie du jour au lendemain. Mais si on fait des gestes concrets dans le sens de nos recommandations, on est capable de recréer cet intérêt envers la médecine familiale. Pour ce faire, il faut du soutien à la pratique: informatiser les cabinets, un accès à des examens de laboratoire, de radio, à des consultations spécialisées et à des infirmières. Avec ça, un médecin aura plus de temps pour s'occuper de ses patients. Et si on fait ça, on peut améliorer rapidement la situation.

Q : Et si on ne fait rien pour remédier à la pénurie de médecins de famille?

R : Dans un an, au lieu de 2 millions, ce sera peut-être 2,5 millions de Québécois qui n'auront pas de médecin. Et dans deux ans, ce sera 3 millions. Parce qu'il y a aussi des médecins qui vieillissent, vous savez. Dans la région de Montréal, par exemple, 750 médecins ont plus de 55 ans.

Q : Pour redresser la situation, il faut évidemment de l'argent. Vous vous êtes prononcé publiquement avec d'autres fédérations contre le ticket modérateur. Alors, on le prend où, cet argent?

R : On ne taxe pas la maladie. Plus tu es malade, plus tu paies... Nous sommes contre ça. Un ticket modérateur n'aurait pour effet que de retarder la décision des malades de se faire soigner, donc d'aggraver leur état. Il faut investir dans la première ligne. C'est sûr qu'il y a un coût économique à la pénurie. Pour remettre en contexte, parce que c'est important et qu'on a beaucoup parlé des coûts dernièrement: l'an prochain, on va dépenser 27 milliards en santé au Québec. Moins de 3% de cet argent ira aux cliniques médicales, pour les soins de première ligne. Nous pensons que les investissements demandés sont justifiés. Imaginez ce qu'on pourrait faire avec 14%...

 

Le départ du Dr Yves Lamontagne

Au lendemain de l'entrevue avec le Dr Louis Godin, La Presse a appris le départ du président du Collège des médecins, le Dr Yves Lamontagne. Dans le contexte actuel de pénurie, les attentes sont grandes envers le successeur, a expliqué le président de la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec: «Il est clair pour nous (FMOQ) que le prochain président devra avoir une sensibilité particulière à l'égard de la valorisation de la médecine familiale et de la grave pénurie de médecins omnipraticiens. De plus, la prochaine présidence devra faire preuve d'une véritable écoute, en toutes circonstances, des préoccupations exprimées à la fois par les citoyens et les médecins. Ce sera une qualité essentielle que devra posséder le prochain président du Collège», a expliqué le Dr Godin.