Parler au téléphone cellulaire pendant plus de 900 minutes par mois augmente de 40% le risque de cancer du cerveau, selon une vaste étude internationale dont la publication était attendue depuis plusieurs années. Mais ses résultats, à peine publiés, font l'objet de vives critiques.

«Pour 90% des utilisateurs de portable, il ne semble pas y avoir de risque accru de cancer du cerveau», explique Jack Siemiatycki, épidémiologiste de l'Université de Montréal. Avec Marie-Élise Parent, de l'INRS-Institut Armand-Frappier, il a dirigé la portion québécoise de cette étude, qui portait sur 10 000 personnes dans 13 pays. «Nous avons même trouvé un risque moindre. C'est surprenant et inattendu. Ça reflète peut-être des biais de sélection. Mais pour les 10% qui utilisent le plus le portable, il y a un risque plus élevé.»Les utilisateurs fréquents sont ceux qui ont utilisé leur cellulaire plus d'une heure par jour pendant cinq ans ou plus d'une demi-heure par jour pendant 10 ans. L'effet était cumulatif.

L'étude Interphone, dirigée par Élisabeth Cardis, du Centre international de recherche sur le cancer (OMS), a toutefois suscité des critiques. Ses détracteurs soutiennent notamment que les participants en santé - dont les habitudes ont été comparées à celles des cancéreux - étaient plus susceptibles de ne pas avoir de portable, que les faibles utilisateurs de portable sous-estiment leur utilisation, que les cancers du cerveau mettent beaucoup plus longtemps à apparaître que la période de suivi, que le fait qu'on n'ait pas inclus d'enfants est problématique parce que leur cerveau est plus vulnérable et que le financement partiel de l'étude par l'industrie lui donne un biais.

«C'est sûr qu'il faudra d'autres études, dit M. Siemiatycki. Le problème, c'est que les protocoles de bioéthique sont de plus en plus restrictifs. Depuis 30 ans que je fais de la recherche, je n'ai jamais eu des taux de réponse aussi bas. On demande aux participants de signer de nombreux formulaires, ça en décourage plusieurs. Si la population veut savoir si des facteurs environnementaux, comme les téléphones portables, augmentent le risque de maladies comme le cancer, il faudra qu'elle agisse. Avec les règles actuelles, on n'aurait jamais su que l'amiante et la cigarette causent le cancer.»

Le portable n'est pas la cigarette

La Dre Cardis, qui s'est illustrée en 2006 lorsqu'elle a dirigé une étude sur la mortalité liée à l'accident nucléaire de Tchernobyl, estime que si le portable entraînait à long terme un risque de cancer du cerveau aussi important que la cigarette pour le cancer du poumon (plus de 1000%), Interphone aurait permis de le détecter. M. Siemiatycki n'est est pas si sûr. «On manque cruellement de données sur le délai entre l'exposition à un facteur et l'apparition du cancer. Même pour la cigarette, on n'a pas de données suffisantes. On manque de financement. C'est un peu honteux.»

Une étude européenne, Cosmos, suivra pendant de 20 à 30 ans des personnes en mesurant précisément leur utilisation du portable. Mais selon la Dre Cardis, pour avoir la même puissance statistique qu'Interphone, il aurait fallu suivre des millions de personnes.

Interphone est une étude rétrospective, ce qui signifie qu'elle étudie le comportement passé pour évaluer le risque d'une maladie actuelle. Cosmos, au contraire, est une étude prospective qui analyse les comportements actuels pour évaluer leur impact sur les maladies futures. Une étude prospective est plus fiable qu'une étude rétrospective, mais il lui faut beaucoup plus de cobayes pour avoir la même puissance statistique.

Quelles sont les habitudes des deux chercheurs? «Je ne suis pas un grand utilisateur, je ne fais pas plus de 400 minutes par mois, alors je ne prends aucune précaution particulière, dit M. Siemiatycki. Si je me servais plus du portable, j'utiliserais un dispositif mains libres.»Quant à la Dre Cardis, elle utilise peu le portable et autant que possible en mains libres ou par messages texte (SMS). Ses enfants ont 8 et 11 ans et, quand ils réclameront un portable, elle leur fera ces recommandations.

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Pourquoi ne pas avoir utilisé les factures?

L'une des choses que l'on reproche à l'étude Interphone, c'est que les analyses se fondent sur la mémoire qu'avaient les utilisateurs du temps passé au téléphone plusieurs années auparavant. Pourquoi ne pas avoir utilisé les données des factures de téléphone? «Quand nous avons commencé, les entreprises ne conservaient leurs données que de 6 à 18 mois, explique Jack Siemiatycki, de l'Université de Montréal. C'était trop peu pour nous. Le contrat peut aussi être à un autre nom que celui de la personne qui l'utilise, une entreprise ou le parent d'un enfant. D'autre part, nous avons jugé que les personnes seraient plus disposées à répondre à nos questions qu'à nous donner accès à leurs factures. Nous avons aussi essayé d'éviter les méthodes susceptibles d'être refusées par un comité d'éthique.»