Le vaisseau était déjà en péril; voilà qu'il n'a plus de pilote. Le sous-ministre responsable du Dossier de santé du Québec au ministère d'Yves Bolduc, Bernard Lefrançois, quitte le navire.

Lancé en 2006, le Dossier de santé du Québec (DSQ) devait fournir un dossier médical informatisé à chaque Québécois avant la fin de l'année. Or, on parle désormais de 2015, et des sources confient que le projet est presque en suspens au Ministère.

 

À l'été 2009, le ministre de la Santé, Yves Bolduc, avait donné les rênes du projet à Bernard Lefrançois après avoir mis sur la touche le Dr André Simard, issu du secteur privé, et les autres responsables.

À l'automne 2009, lors d'un congrès de l'Association des établissements de santé à Québec, M. Lefrançois avait déclaré qu'il était «le pilote dans l'avion» de ce projet qui battait déjà de l'aile.

Selon nos sources, M. Lefrançois occupera des fonctions similaires, mais dans le secteur de la justice. Des frictions avec Inforoute Santé Canada, bailleur de fonds fédéral de ces projets d'informatisation, expliquent en parti ce départ.

Questionné jeudi à l'Assemblée nationale sur ce dossier embarrassant, le ministre Yves Bolduc s'est contenté de presser le pas. Il a confirmé au vol que M. Lefrançois avait quitté ses fonctions et qu'il n'était pas encore remplacé.

Joint hier, Bernard Drainville, député de Marie-Victorin et critique du Parti québécois en matière de santé, a indiqué avoir appris tout récemment le départ de M. Lefrançois, une autre illustration selon lui de la dérive de toute cette aventure, dans laquelle 320 millions de fonds publics ont été engloutis sans résultats tangibles.

Selon la compilation que M. Drainville a obtenue d'Ottawa, le Québec n'aurait utilisé que 35% des fonds fédéraux offerts par Inforoute Santé Canada pour l'informatisation des dossiers médicaux au pays - il se classe ainsi bon dernier parmi toutes les provinces canadiennes. Au début de 2010, il lui restait 307 millions à recevoir d'Ottawa. Le hic, c'est que le gouvernement fédéral ne décaisse que lorsqu'on lui démontre qu'un volet du projet a été réalisé et fonctionne normalement. Or, avec le DSQ, il y a loin de la coupe aux lèvres.

«Le vérificateur général a déjà dit clairement que le projet ne s'en allait nulle part... avec ce départ, on peut se demander si l'échéance de 2015 est toujours réaliste!» a lancé M. Drainville.

Selon lui, le ministre Bolduc «fait le jovialiste» et refuse obstinément d'admettre les sérieux problèmes du projet. Or, le Québec aurait tout avantage à procéder rapidement à l'informatisation des dossiers des patients. Les médecins estiment qu'ils pourraient voir 20% plus de patients sans la tracasserie des dossiers papier - c'est précisément la proportion de Québécois qui tentent en vain de trouver un médecin de famille.

«Peur des réponses»

Grand responsable des technologies de l'information au ministère de la Santé, M. Lefrançois avait fait une présentation surprenante en 2009 à la Société québécoise d'informatique biomédicale et de la santé. Ses propos avaient été recueillis par un des participants. Pour la gouvernance des technologies de l'information au Ministère, avait-il déclaré, «ça prend ordinairement un pilote dans l'avion», et une série de visites dans les établissements lui avait fait constater qu'on y trouvait des gens «extrêmement motivés et très compétents» mais que cela ne s'arrimait pas «à une vision d'ensemble».

«L'avion est en vol. Comment fera-t-on pour finir de le construire et surtout essayer de le faire atterrir? La seule chose qui m'encourage est que tout le monde est bien intentionné», avait-il dit. «La seule vision que j'ai, c'est des milliards. Sont-ils investis de façon optimale? J'ai peur de votre réponse!» avait-il lancé à son auditoire.

Surtout, il avait insisté sur les risques pour la protection des renseignements personnels: «La journée où on va avoir un bris de sécurité dans le domaine de la santé, je pense que cela va nous mettre cinq ans en arrière... Là, tout va s'arrêter et devra être remis en question. On n'a pas les moyens d'avoir une seconde chance en ce qui concerne la sécurité.»