«Votre poids est un problème? Perdez du poids avec Slimband.»

Quand Émilie Dansereau est tombée sur cette petite annonce sur l'internet, elle s'est demandée de quel programme de perte de poids il s'agissait. Quelques clics plus tard, la porte-parole de l'Association québécoise pour la santé publique était estomaquée: la publicité la dirigeait tout droit vers un centre de chirurgie bariatrique ontarien qui accepte de pratiquer des interventions pour des patientes qui ont un surplus de poids, mais qui sont très loin de l'obésité morbide.

Le groupe a décidé de faire enquête en téléphonant à la clinique, prétextant être une cliente potentielle avec un indice de masse corporelle de 25, la limite inférieure pour être considéré comme ayant un surpoids. Réponse: oui, l'intervention pourrait être pratiquée au coût de 16 000$. Une femme mesurant 1,60 m et pesant 70 kg pourrait donc être admissible. «Pour nous, ç'a été tout un choc», confie Émile Dansereau, qui s'occupe du dossier des produits et services amaigrissants à l'Association. «Habituellement, la chirurgie bariatrique est réservée aux gens qui souffrent d'obésité morbide et qui ont un IMC de plus de 35 avec des complications médicales», dit-elle.

À Toronto, chez Slimband, on ne se défile pas. Effectivement, les candidats qui ont un surpoids, sans être obèses, sont admissibles. «Plutôt que traiter une maladie, nous voulons la prévenir», explique Lisa Borg, porte-parole pour le groupe de cliniques.

Il existe plusieurs techniques de chirurgie bariatrique. Celle qu'offre Slimband est une gastroplastie qui consiste à insérer un élastique, par le nombril, et à le placer autour d'une partie de l'estomac en limitant ainsi l'espace disponible pour contenir les aliments. Impossible de manger plus sans être malade, explique Lisa Borg, qui indique aussi que le patient peut retourner au travail trois jours après l'opération. L'intervention est révocable et l'élastique peut être enlevé si le patient n'en a plus besoin.

La majorité des clients de Slimband proviennent de l'Ontario. Le groupe refuse de dévoiler le nombre d'interventions pratiquées annuellement, mais admet que la clientèle québécoise, en hausse, représente maintenant environ 7% de la clientèle totale.

 

Pour satisfaire ses clients québécois, Slimband envisage d'ouvrir des bureaux au Québec pour assurer le suivi des interventions.

D'ici là, les patientes-clientes québécoises qui veulent assister aux rencontres de groupe qui sont incluses dans le forfait chirurgie ou avoir recours aux services de psychologues ou de nutritionnistes, ce qui est aussi inclus, doivent se rendre dans la Ville reine. «On nous a offert un soutien téléphonique», précise Émilie Dansereau.

Le Dr Denis Gravel, chirurgien à la Cité de la Santé de Laval, insiste: dans les cas d'opérations bariatriques, le suivi est très important. «Nous disons aux gens qu'ils peuvent choisir de se faire opérer en Ontario, en Inde ou au Mexique, mais que, ensuite, c'est leur responsabilité.»

Geste médical ou esthétique?

«L'obésité est une occasion d'affaires pour toutes sortes de gens, poursuit le chirurgien. Nous serions pas mal plus riches si nous embarquions aussi dans ce bateau-là.» Le Dr Gravel et son équipe ont préféré regarder passer le bateau.

«À la Cité de la santé, nous avons pris position: nous ne faisons pas de la chirurgie (bariatrique) à des fins esthétiques. Nous traitons des patients qui souffrent d'obésité morbide qui entraîne, ou pourrait entraîner, des complications médicales», tranche-t-il.

«Nos patients savent qu'on ne les traite pas pour qu'ils se sentent plus beaux dans leurs maillots de bain l'été.»

Dans ce cas, est-il inquiétant de savoir qu'une patiente que le Dr Gravel aurait refusé d'opérer parce que sa condition ne requiert pas une intervention chirurgicale peut désormais se tourner vers une clinique privée?

Le principal intéressé hésite. Entre la chirurgie esthétique et le geste médical, la ligne est parfois mince, admet Le Dr Gravel.

«Oui, ça m'agace», finit-il par répondre. Le chirurgien précise toutefois que la qualité des soins peut être excellente dans certaines cliniques privées. Le problème, c'est que toutes sortes d'entreprises offrent toutes sortes de services, précise-t-il.

«L'intervention bariatrique n'est pas un geste banal, juge le Dr Gravel. Il peut y avoir des complications et il y a un nombre de ré-interventions significatif.»

Son collègue, le Dr Nicolas Christou, qui pratique des opérations bariatriques à l'hôpital et dans une clinique privée de Montréal, est on ne peut plus d'accord. Lorsqu'on envisage la chirurgie bariatrique pour un patient, explique ce spécialiste, il faut évaluer les risques d'une intervention par rapport aux risques de survie d'une personne sévèrement obèse et malade.

Par exemple, dit-il, une personne diabétique qui a un IMC de 30 peut être un bon candidat. «Pour un patient qui n'est pas malade et dont l'IMC est de moins de 30, il n'y a aucune évidence médicale, loin de là, qu'une intervention chirurgicale pourrait être bénéfique, tranche le Dr Christou. On ne fait pas ce genre d'intervention parce qu'on a 10 ou 20 livres à perdre ou parce qu'on veut être plus joli!»

Nancy Coulombe est infirmière chez Slimband. Elle-même s'est fait poser une bande élastique car elle faisait des régimes en série sans pouvoir maîtriser son poids. Le classique yoyo. Elle avait toujours faim, et elle était déprimée; ce n'est plus le cas maintenant. Elle a retrouvé son poids idéal et défend vigoureusement la philosophie de son employeur. «Avoir un problème de poids est un problème de santé, dit-elle. Quelqu'un qui a un IMC de 27 a un problème de santé!»

Nicolas Christou, chirurgien depuis 30 ans, n'est pas de cet avis. Il condamne l'approche du groupe Slimband et son «marketing agressif» qui, admet-il, est très efficace.

Même verdict à l'Association pour la santé publique du Québec, qui craint qu'on en vienne à la banalisation d'un acte médical.

«C'est gros, une opération bariatrique», rappelle Émilie Dansereau qui déplore qu'on commence à la présenter comme une alternative à un programme de type Weight Watchers. «Il y a des risques avec de telles interventions, dit-elle. Surtout s'il n'y a pas de changement dans les habitudes de vie (des gens qui ont un problème de poids). Pour quelqu'un qui fait de la boulimie, ce n'est pas du tout recommandé.» L'Association craint que ces opérations deviennent des pansements à apposer sur le bobo. Les problèmes de poids sont extrêmement complexes, rappelle Émilie Dansereau.

Le Dr Gravel est d'accord: «On ne peut pas traiter un problème psychologique par une intervention chirurgicale.»

L'équipe de Slimband le croit aussi, malgré qu'une de ses clientèles cibles soit les gens qui font des régimes en série et qui perdent et gagnent du poids continuellement.

Ces gens n'ont-ils pas d'abord et avant tout un problème de comportement psycho-alimentaire?

«Oui. L'intervention règle 20% du problème, répond Lisa Borg de Slimband. Ainsi, 80% du problème est réglé avec le soutien des diététistes et des psychologues.»