Les listes d'attente pour passer une échographie dans les hôpitaux de l'est de Montréal sont si longues que les médecins omnipraticiens sont obligés de diriger systématiquement leurs patients vers des cabinets privés, a appris La Presse. Cette situation, que certains qualifient de ticket modérateur déguisé, inquiète au plus haut point les médecins, car leur clientèle n'a souvent pas les moyens de payer pour cet examen.

«C'est facile de dire qu'on a un système de santé gratuit et universel, au Québec. Mais dans les faits, ce n'est pas le cas», déplore le vice-président de la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec, le Dr Marc-André Asselin.

La situation est si critique que les directeurs généraux de cinq établissements de santé de l'est de Montréal ont écrit au gouvernement le 18 juin. «Nous voulons par la présente vous informer que la population de l'est de Montréal n'a présentement pas d'accès aux services diagnostiques d'échographie. Les délais d'attente (au public) sont de plus d'un an, écrivent-ils. Nous pouvons dire de façon très claire que l'échographie n'est plus un service assuré pour la population de l'est de Montréal.»

La Régie de l'assurance maladie paie pour l'échographie si elle est réalisée à l'hôpital, mais pas si elle est faite dans un cabinet privé, où elle coûte de 75$ à 250$, ce que plusieurs patients ne peuvent payer.

Pour corriger la situation, les signataires de la lettre réclament l'ajout de plateaux techniques dans les hôpitaux. L'hôpital Maisonneuve-Rosemont (HMR) indique pour sa part qu'il manque de radiologistes et qu'il en engagera deux ou trois durant l'année. «On pourra augmenter de 60% le nombre d'échographies dès 2011-2012», assure le porte-parole de l'HMR, François Brochu.

Cette augmentation sera la bienvenue, car, dans les dernières années, le nombre d'échographies n'a cessé de diminuer. Alors qu'on en a réalisé 40766 en 2001, on n'en a fait que 30663 en 2008. «On a perdu des radiologistes au fil des ans», explique M. Brochu.

C'est aussi durant cette période que certains radiologistes de l'HMR ont commencé à faire des échographies en cabinet privé, selon une source. Ont-ils délaissé la pratique dans les établissements publics?

Le président de la Fédération des médecins spécialistes du Québec (FMSQ), le Dr Gaétan Barrette, qui a lui-même été chef des radiologistes de l'HMR au début des années 2000, reste prudent. «Durant mon règne, j'avais augmenté de 30% le nombre d'échographies au public, dit-il. J'estime que Maisonneuve-Rosemont pourrait doubler son nombre d'échographies présentement.»

Le Dr Barrette martèle que le secteur privé ne doit pas nuire au réseau de santé public: «Jamais un docteur ne devrait diminuer sa pratique au public pour l'augmenter au privé.»

Le président de l'Association des radiologistes du Québec, le Dr Frédéric Desjardins, assure que ses collègues ne favorisent pas le privé au détriment du public. «Dans la dernière année, le nombre d'échographies réalisées au public a augmenté de 4%», dit-il. Le Dr Desjardins, tout comme le gouvernement, ne possède toutefois pas de données sur le nombre d'échographies réalisées au privé.

Pour régler la situation, le Dr Asselin estime que le gouvernement devrait assurer les échographies aussi bien à l'hôpital que dans les cabinets privés. «Les échographies, on en a besoin tous les jours, mais on n'y a pas accès dans des délais raisonnables. Le gouvernement doit nous dire s'il assure la santé ou non. Si oui, les échographies doivent être assurées.»

Au cabinet du ministre de la Santé, Yves Bolduc, on dit «travailler à corriger la situation», mais on reste vague sur la possibilité de payer toutes les échographies. Le Dr Barrette n'aurait pas d'objection à ce que le gouvernement le fasse. «La non-tarification, actuellement, est un ticket modérateur déguisé. Il faut donner accès à cet examen.»

Le Dr Desjardins rejette pour sa part cette solution. Il explique que, au Québec, les radiologistes doivent absolument être présents durant l'échographie. Ailleurs, ils peuvent se contenter d'analyser l'échographie faite par une technicienne. «Donc, même si on décide de rembourser l'examen lorsqu'il est réalisé en cabinet privé, il n'y aura pas plus de radiologistes pour faire ces tests. La seule solution, c'est de changer les règles de pratique.»