En janvier 2009, quatre personnes âgées en perte d'autonomie sont mortes dans l'incendie de la résidence Belle Génération, à Chicoutimi, parce qu'elles ont été incapables de s'enfuir. Dans un rapport publié l'été, le coroner Clément Paradis estime que le bâtiment n'était pas assez sûr compte tenu de l'état de santé de ses pensionnaires.

Mais au moment même où le coroner rappelle qu'il est important d'appliquer des normes de sécurité incendie très strictes dans les résidences pour aînés, le gouvernement accepte au contraire de les assouplir pour faciliter l'accréditation de certains établissements, a appris La Presse.

Pour accélérer le processus de certification des résidences à Montréal, le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSS) y a envoyé un émissaire. La méthode a fonctionné: alors que 54% des quelque 300 résidences privées étaient certifiées au mois de juillet, il y en a maintenant 64%.

Dans une lettre envoyée à l'agence de la santé et des services sociaux de Montréal, le directeur des personnes âgées en perte d'autonomie au MSS, Christian Gagné, dit vouloir certifier rapidement les résidences, «quitte à ce que des accommodements soient négociés». Invité à préciser ses propos, M. Gagné assure qu'il ne s'agit pas ici de faire des compromis de qualité.

Il reconnaît toutefois qu'un propriétaire dont la résidence n'est pas conforme aux normes de sécurité incendie mais qui s'engage à modifier ses installations peut maintenant être certifié avec l'accord des pompiers. Auparavant, les propriétaires devaient faire les changements avant d'être certifiés.

«À quoi ça sert d'établir des normes si c'est pour les contourner?» demande le président de l'Association québécoise de défense des droits des retraités (AQDR), Louis Plamondon. Jean-Philippe Grad, vice-président de la Fédération de la santé et des services sociaux (FSSS-CSN), est du même avis: «C'est un passe-droit pour accélérer la certification. On ne peut pas accepter ça.»

Louise Massicotte, directrice générale adjointe de l'Agence de Montréal, assure que les compromis ne se font que si la sécurité des résidants n'est pas menacée. Mais elle explique que les mises aux normes demandent beaucoup d'investissements aux propriétaires, au point où l'Agence songe à offrir du «soutien financier» à certains d'entre eux.

Mme Massicotte martèle que les agences ne peuvent pas trop en demander aux résidences privées. «Sinon, ces gens-là vont mettre la clé sous la porte. Il ne faut pas être complaisant dans le processus, mais il faut collaborer pour améliorer le réseau.»

Dominic Portelance, dont la mère, Jacqueline, est morte en mai 2007 dans l'incendie de la résidence où elle vivait, à Rigaud, croit qu'il est inacceptable d'envisager de réduire les exigences de sécurité incendie. «Il faut faire le contraire! Je ne sais pas si la mort de ma mère aurait pu être évitée si les exigences avaient été plus sévères, mais on aurait mis les chances de notre côté. Même si le respect des normes implique des investissements de la part des promoteurs privés, on ne peut pas envisager de les diminuer.»

Nouveau statut

Dans un nombre croissant de résidences privées, les occupants sont si peu autonomes que les pompiers recommandent que l'établissement change de vocation pour devenir un CHSLD.

«Les exigences sont alors bien plus sévères. Pour un propriétaire, ça signifie des milliers, voire des millions de dollars d'investissement», soutient la responsable de la gestion de la qualité au Regroupement québécois des résidences privées pour aînés (RQRA), Danièle Marchand.

Un comité ad hoc formé par le gouvernement étudie actuellement la possibilité de créer des «statuts intermédiaires» pour les résidences privées dont la clientèle est devenue trop lourde, a appris La Presse. «Comme ça, les propriétaires pourraient rehausser leurs critères de sécurité incendie, mais ils n'auraient pas besoin de respecter les critères très sévères des CHSLD», illustre le chef de la section prévention incendie de Montréal, Marcel Deschamps. Selon lui, un tel compromis serait viable. «Ce n'est pas vrai que toutes les résidences non certifiées jusqu'à maintenant sont dangereuses», dit-il.

Pour M. Plamondon, ce compromis est inacceptable. «Accepter de changer les règles de sécurité incendie dans les endroits où l'on trouve les aînés les plus vulnérables, ça n'a pas de sens», dit-il.

Mme Marchand réplique que les résidences privées «n'ont pas demandé à se retrouver avec une clientèle plus lourde». «Les CHSLD manquent de places parce que le gouvernement les restreint. Donc, les gens vieillissent en résidence privée. Aucun propriétaire ne veut remettre en question la sécurité des aînés. Mais il faut trouver une solution pour nous aider», dit-elle.

M. Gagné reconnaît que «des mesures d'assouplissement et de resserrement» du processus de certification sont actuellement à l'étude au Ministère. Mais il assure que les discussions sur l'adoption d'un «statut intermédiaire» pour les résidences à clientèle très lourde ne sont qu'à un «stade embryonnaire».