Un souper servi à 15h30. Un pensionnaire qui mange seul face à un mur parce qu'il «dérange». Une propriétaire qui hurle à une résidente de se taire... Le vérificateur du Conseil québécois d'agrément (CQA) qui s'est rendu le 24 septembre 2009 à la résidence Pie-IX, à Montréal, a été témoin de situations anormales. Pourtant, la plupart de ces observations ont été sans effet sur la certification de l'établissement, car la qualité des services réservés aux personnes âgées ne fait l'objet d'aucune évaluation, a constaté La Presse.

Olga Taran a acheté la résidence Pie-IX en juin 2009. Trois mois plus tard, un vérificateur du CQA s'y est rendu pour la visite initiale. Ses constatations sont troublantes.

Dans la section «observations» de son rapport, que La Presse a obtenu grâce à la Loi sur l'accès à l'information, on peut lire: «Durant notre visite qui a eu lieu vers 15h45, plusieurs résidants étaient déjà attablés à la salle à manger en attente de leur repas.»

Un aîné était assis à une table individuelle, à l'écart des autres et face au mur. La propriétaire explique que «monsieur souffre de la maladie de Parkinson et que ses mouvements involontaires dérangent les autres résidents (sic)», est-il écrit.

Toujours dans la section «observations», on note que plusieurs pensionnaires sont des cas trop lourds pour l'établissement. La propriétaire précise que «ces résidants sont là depuis plusieurs années et qu'elle a décidé de leurs offrir ces services plutôt que de demander leur relocalisation».

Il est fréquent que des résidences privées hébergent des personnes âgées en trop lourde perte d'autonomie, remarque la coordonnatrice interrégionale de la certification des résidences privées pour personnes âgées de Laval-Laurentides-Lanaudière, Carole Labelle. «Quand un patient devient un cas trop lourd, le propriétaire doit demander qu'il soit logé ailleurs. Mais on manque de places dans les CHSLD, donc l'attente est longue. Parfois, l'exploitant peut être tenté de garder ses résidants, car c'est son revenu, explique-t-elle. D'autre fois, les locataires eux-mêmes préfèrent rester.»

À part inscrire une note dans la rubrique «observations» sur la lourdeur des cas, les vérificateurs du CQA ne peuvent pas faire grand-chose. «Nos vérificateurs ne se prononcent pas là-dessus», explique Sylvie Lambert, directrice du programme de certification du CQA, car ce n'est pas un critère de certification.

Brusquerie

L'article 2 du Guide de certification des résidences privées pour aînés mentionne que les résidants doivent être «traités avec dignité». Mais dans les faits, pour répondre à ce critère, il suffit de se doter d'un code d'éthique, révèle l'analyse de dizaines de rapports du CQA.

La preuve: le rapport de la résidence Pie-IX mentionne que l'établissement est «non conforme» à l'article 2 parce que son code d'éthique est incomplet. Mais aucune mention du traitement réservé aux aînés, pourtant constaté par le vérificateur du CQA, n'y figure.

Un peu plus loin dans le rapport du CQA, une autre situation troublante est notée: «Lors de notre visite, une résidante dont la chambre est au sous-sol, crie fortement (nous n'entendons pas les propos précis). L'exploitante a alors frappé très fort avec son poing dans la porte de sa chambre, lui ordonnant de se taire.»

Pour le président de l'Association québécoise pour les droits des retraités (AQDR), Louis Plamondon, une telle situation prouve que «le processus de certification est bidon». «Le fait de traiter une personne âgée avec dignité n'est évalué que par la présence d'un code d'éthique... C'est douteux! C'est un délire bureaucratique! déplore-t-il. Ça montre que la certification n'offre aucune garantie sur le fait que les résidents sont traités avec dignité.»

Le vice-président des secteurs privés à la Fédération de la santé et des services sociaux (FSSS-CSN), Jeff Begley, est du même avis. «Il n'y a rien pour assurer la qualité des services dans les résidences privées», croit-il.

Le 20 avril 2010, un avis de non certification a été envoyé à la résidence Pie-IX, car l'établissement ne répondait pas à plusieurs critères. En plus d'avoir des chambres trop petites et de ne pas être conforme aux normes de sécurité incendie, l'établissement n'assurait pas de traitements adéquats à tout résidant dont la vie ou l'intégrité était en danger.

Mais la résidence Pie-IX est toujours ouverte. Cette situation ne fait pas que des heureux, a appris La Presse. Le Centre de santé et de services sociaux d'Ahuntsic-Montréal-Nord doit assurer une surveillance dans cet établissement. Selon nos sources, le CSSS, qui n'a pas voulu commenter le dossier, a ainsi engagé des frais de plusieurs milliers de dollars.

La directrice générale adjointe de l'Agence de la santé et des services sociaux de Montréal, Louise Massicotte, n'a pas voulu non plus commenter le cas de la résidence Pie-IX. Elle nous a assuré que les cas trop lourds en avaient été retirés.

La propriétaire de la résidence Pie-IX, Mme Taran, reconnaît avoir eu beaucoup de difficulté à obtenir sa certification, mais elle dit avoir vendu la propriété à son associé récemment. «J'ai fait ça pour avoir les certificats», dit-elle. Mme Taran se considère comme une victime dans cette histoire. «Si tu veux trouver des problèmes, tu peux en trouver partout, pas juste chez moi», croit-elle.

Autre exemple

Le cas de l'Auberge des Brises, à Sainte-Julie, illustre bien le fait que la certification n'est pas sans faille.

En août 2009, la Ville de Sainte-Julie a inspecté l'établissement, qui peut accueillir neuf personnes. «Plusieurs travaux devaient être réalisés pour que l'immeuble soit conforme. On a donc signé un protocole d'entente dans lequel la propriétaire s'engageait à faire les changements», raconte le directeur de l'urbanisme à Sainte-Julie, Pierre-Luc Blanchard.

Un an plus tard, aucun changement n'a été apporté, selon M. Blanchard, qui assure que des mesures seront prises. Mais malgré ce manque de conformité, le registre des résidences privées pour aînés indique depuis un an que l'Auberge des Brises est «certifiée». Jointe hier par téléphone, la propriétaire de l'établissement s'est refusée à tout commentaire.

«Il faut que le processus de certification soit renforcé pour mieux encadrer la qualité des soins et la sécurité», estime Lise Denis, directrice générale de l'Association québécoise des établissements de santé (AQESSS).