Depuis 2000, le personnel administratif a crû de près de 52% et les cadres de 30% dans le réseau de la santé québécois. Pendant ce temps, le personnel soignant n'a augmenté que de 6%, révèlent des données gouvernementales compilées par la Fédération des médecins spécialistes du Québec (FMSQ).

Si bien que, actuellement, environ 108 000 employés du réseau de la santé se consacrent aux soins alors que 100 000 occupent des fonctions de gestion ou d'administration. «C'est quasiment un ratio de un pour un! On est actuellement surencadré, dans le réseau, affirme le président de la FMSQ, le Dr Gaétan Barrette. On sabre toujours du côté des soins aux patients. Il y a beaucoup de confort administratif.»

Pour le personnel soignant, cette augmentation fulgurante du nombre de cadres est d'autant plus choquante qu'on procède à d'importantes coupes dans les soins à la population.

Le centre de santé et de services sociaux (CSSS) Ahuntsic-Montréal-Nord n'admet plus aucun patient aux soins à domicile depuis un mois, à l'exception des cas urgents. Pour «s'assurer de respecter son cadre budgétaire», le CSSS a dû «commencer à générer une liste d'attente», explique la directrice des services aux aînés, Johanne Pednault.

Actuellement, 61 patients attendent de recevoir des soins à domicile. Au même moment, on s'apprête à embaucher un sixième chef de programme des soins à domicile. «On n'a pas d'argent pour prendre plus de patients, mais on embauche un gestionnaire de plus. Trouvez l'erreur», dénonce une employé du CSSS qui préfère garder l'anonymat.

Mme Pednault justifie cette embauche par le volume d'activité: «En 2005, on avait sept chefs de programme en maintien à domicile. On aura maintenant six chefs, alors que les besoins ont augmenté. On n'exagère pas.»

Diminution des soins

À Blainville, le centre de santé et de services sociaux (CSSS) de Thérèse-De Blainville fait face à un sous-financement chronique de 8 millions. Pour compenser, le CSSS a diminué les soins à domicile. Une quarantaine de citoyens ont perdu leurs services. C'est le cas de Marc Girard, atteint de sclérose en plaques, qui recevait des soins à domicile depuis six ans.

La responsable des communications du CSSS, Nicole Blouin, reconnaît que son établissement est «incapable de donner tous les services qu'il voudrait». «On est sous-financé. Cette année, on a réévalué les critères d'admission aux soins à domicile. Comme ça, on peut cibler les cas importants et les aider en fonction de nos ressources», dit-elle.

«Les effets sur ma famille sont énormes, dit Marc Girard. Sans soutien à domicile, ce sont mes proches qui devront faire tout le travail. Pourquoi on coupe toujours dans les soins et jamais dans les bureaux?» demande M. Girard, qui a lancé une pétition sur le site de l'Assemblée nationale pour dénoncer la situation.

La Fédération de la santé et des services sociaux (FSSS-CSN) déplore elle aussi que les coupes dans le réseau de la santé se fassent toujours du côté des soins. Le vice-président pour la région de Montréal, Jean-Philippe Grad, expose entre autres le cas du CSSS Jeanne-Mance. Afin d'éponger un déficit de 8 millions, une dizaine de postes d'infirmière seront retranchés dans deux centres d'hébergement et de soins de longue durée (CHSLD). Des infirmières qui s'occupaient jusqu'à maintenant de 33 patients devront désormais prendre soin de 80 personnes.

Selon M. Grad, la raison invoquée est que la couverture de soins y est «trop optimale». «On couvre 100% des besoins. On nous demande de revenir à 80%. C'est rendu grave de dire aux aînés qu'ils ne sont pas assez importants pour avoir 100% de leurs soins, dénonce M. Grad. On sabre toujours les services. Mais les cadres, eux?»

La directrice du CSSS Jeanne-Mance, Sylvie Simard, explique que, comme la loi interdit les déficits, elle a dû retrancher 3 millions de dollars dans les programmes d'hébergement pour aînés et 1,5 million dans les soins à domicile. Quant à savoir si des coupes auront aussi lieu dans l'administration, Mme Simard assure que oui: «Je ne peux pas vous dire le chiffre exact, mais je crois que ça tourne autour de 1,5 million. On revoit toute l'organisation», dit-elle.

Augmentation soutenue

La présidente de la Fédération interprofessionnelle de la santé, Régine Laurent, est estomaquée par la hausse constante du nombre de cadres dans le réseau de la santé: «Il n'y a jamais eu autant de personnel cadre et administratif et ça n'a jamais été aussi mal! Il y a un problème!»

Le ministère de la Santé confirme l'augmentation du nombre de cadres et reconnaît que la création des CSSS, qui devait alléger la structure administrative, n'a pas donné de résultats substantiels. Mais le MSSS réplique que, depuis 2000, le taux de salariés par cadre est resté stable au Québec.

Le MSSS assure que des cadres sont parfois congédiés mais que leurs tâches s'alourdissent et que les postes sont de plus en plus difficiles à pourvoir. Donc, même quand un cadre est en difficulté, le gouvernement «travaille avec lui à développer ses compétences pour le replacer dans le niveau hiérarchique».

La directrice générale par intérim de l'Association du personnel d'encadrement du réseau de santé, Anne-Marie Chiquette, confirme que la création des CSSS a augmenté de beaucoup le nombre de cadres au Québec. Mais elle estime que leur rôle est essentiel. «Du personnel de soin, on en voudrait toujours plus. Mais il y a pénurie, note-t-elle. Depuis peu, on ne remplace qu'un employé sur deux qui partent à la retraite chez les cadres du réseau. C'est beaucoup plus facile d'abolir un poste de cadre qu'un poste syndiqué dans le réseau!»