Oui, si vous fumez, vous risquez le cancer du poumon. Le lien est limpide. Mais on ne sait pas ce qui cause la plupart des cancers. Ce qui pousse une cellule à devenir folle, à se multiplier de façon anarchique et à se transformer en crabe.

Chaque année au Québec, 45 000 Québécois sont frappés par un diagnostic de cancer; 20 000 en meurent. Depuis 2006, le cancer est la première cause de mortalité au pays.

Bref, angoissante loterie. Mais il y a plus angoissant encore. Il y a la loterie de la guérison.

Prenez Pierre Gagnon. Pierre est de ces hommes qui traversent la vie en pédalant, en joggant et en s'alimentant sainement. Non-fumeur, amateur de vin rouge.

Puis, un jour, il y a sept ans, on lui a diagnostiqué un cancer du côlon, stade 3.

Qu'est-ce qui cause le cancer du côlon? On ne sait pas.

Ce qu'on sait, c'est que c'est l'un des cancers les plus meurtriers: deuxième cause de décès par cancer au Canada. Taux de survie après cinq ans: 62%. Meilleur que pour le cancer du pancréas (6%) et de l'oesophage (14%), moins bon que dans les cas de cancer de la thyroïde (98%) et des testicules (96%).

C'est Pierre qui m'a résumé la loterie de la chimiothérapie quand je lui ai demandé pourquoi, à son avis, il avait battu le cancer. Le jogging, Pierre? Les All-Bran?

La réponse de Pierre, je le crains, va vous décevoir: «La chance.»

Une chance cellulaire, si on veut. C'est du 5-FU, ou fluorouracil, qui l'a sauvé. Le 5-FU, une fois métabolisé, stoppe (je résume à outrance, ici) la mitose (reproduction cellulaire), assassinant du coup les cellules détraquées qui causent le cancer.

Mais, parfois, les cellules cancéreuses déjouent la chimiothérapie. Pierre Gagnon parle de chance. Moi aussi. Je sais que les scientifiques n'aiment pas le mot «chance». Mais il y a un mystère dans la résistance - ou non - des cellules cancéreuses à la chimiothérapie.

Ce mystère, il est résumé ainsi, dans Métastases, vérités sur le cancer, du cancérologue français Laurent Schwartz: «Les cellules cancéreuses sont malignes au double sens du mot. Attaquées, elles trouvent rapidement de nouvelles parades, développent des résistances diverses à d'autres techniques d'élimination.»

Mais pour Pierre, c'est clair. Sa survie, il la doit à un coup de chance cellulaire. Le 5-FU a réussi à tuer son mal: «Dans mon cas, la chimie a marché. La science a fonctionné. C'est tout.»

Je vous entends d'ici... Oui, je vous entends hurler que l'attitude change tout, que le positivisme peut déplacer les montagnes (et les tumeurs). Que Lance Armstrong, que Saku Koivu voulaient, eux, et qu'ils ont vaincu le cancer.

Peut-être.

Mais la science, elle, dit le contraire. Elle dit que le positivisme ne change probablement rien à l'issue du combat. Josée Savard, prof de psychologie et chercheuse en psycho-oncologie à l'Université Laval, dit même que le positivisme, pour le cancéreux, peut devenir une tyrannie. Mieux vaut adopter la pensée réaliste pour éviter de sombrer en plus dans la dépression(1).

Évidemment, pour chanter les vertus du positivisme contre le cancer, on n'entend que les survivants. Ceux qui en sont morts ne sont plus là pour dire qu'eux aussi, pendant la bataille, ils étaient positifs à l'os...

De ses six mois de chimio, Pierre a tiré un livre qui déborde d'humour et d'humanité: 5-FU. Page 34: «J'ai tapé CANCER sur mon clavier d'ordinateur, ensuite j'ai répondu au questionnaire. J'y ai appris que je suis au degré 3 de la maladie, qui en compte quatre. J'ai aussi découvert les 10 clichés les plus répandus, dont celui-ci: «Un esprit positif et une pensée constructive peuvent guérir le cancer.» J'ai refermé mon ordino. Cette semaine seulement, au moins 10 personnes m'ont répété cet énoncé, en y croyant dur comme fer.»

À la loterie de la guérison, Pierre Gagnon a donc tiré le bon numéro: le poison 5-FU a bien interagi avec son organisme. Parfois, ce n'est pas le cas: l'ADN du patient ne métabolise pas le poison. Les cellules cancéreuses poursuivent leur chevauchée délétère.

«Il y a, poursuit Pierre, des milliers d'exemples de gars en forme qui mangent bien et pour qui la chimie n'a pas fonctionné. Et des milliers de fumeurs, mangeurs de pizzas, pour qui ça a fonctionné...»

Pierre Gagnon attribue sa survie à la chance, point. Ne lui parlez même pas de courage. Dans 5-FU, il se décrit comme un trouillard. En entrevue, il dit que le courage, il l'a trouvé au troisième étage du CHUL, à Québec. L'étage des enfants cancéreux.

C'est au troisième étage, je crois, qu'il a conçu des envies de génocide envers les tenants de la «biologie totale», ces zozos qui disent que votre cancer est le fruit d'un problème survenu, par exemple, dans la petite enfance.

«Je pense à Juliette, debout dans son parc, au troisième. Toute petite. Pleine de marques de radiothérapie. Elle a fait quoi, elle, pour avoir le cancer? Elle a été méchante avec sa mère?»

Pierre ne le savait pas, mais il incarnait, en quelque sorte, mon angoisse originelle face au crabe.

«Tu sais, Pierre, le cancer du côlon, c'est ce qui a tué mon père.

- Il avait quel âge?

- 54 ans.

- Vas-tu aller passer une coloscopie?

- J'ai juste 38 ans...

- J'en avais 43.

- ...

- Tu devrais y aller.»

(1) Faire face au cancer : avec la pensée réaliste, Josée Savard, Flammarion Québec, 268 pages.