Serge Lebel* a 72 ans. Il fume du pot depuis une éternité, dit-il. «Je fume quatre ou cinq fois par semaine, avec une pipe, seulement trois ou quatre touches, juste assez pour que ça me fasse de l'effet.»

Pourquoi fumer? «Pour décrocher. Pour la vision optimiste et légère que ça me donne sur mes problèmes, sans gueule de bois le lendemain.

«Je ne me lève pas le matin pour fumer, précise M. Lebel. Les gens me disent que j'ai le pot heureux.»

Aux États-Unis, le nombre des personnes âgées de 55 ans et plus qui auraient consommé de la marijuana au cours de l'année précédente est passé de 1,6% en 2002 à 5,1% en 2008, selon des études de l'Administration américaine chargée de la santé mentale et des abus de substances. Et les experts s'attendent à ce que la proportion augmente encore avec le vieillissement des enfants du baby-boom, nés entre 1945 et 1964.

Du pot pour soulager l'arthrose

«Il y a des gens qui faisaient la fête au square Saint-Louis dans les années 70 et qui n'ont jamais arrêté de fumer», explique Marc-Boris St-Maurice, fondateur du Bloc pot. Mais il y a aussi une clientèle qui découvre ou redécouvre les vertus thérapeutiques du cannabis, pour soulager l'arthrose, le glaucome, les symptômes du parkinson ou la sclérose en plaques.

«Quand tu fumes, tout s'intensifie. Il faut faire attention. Sinon, c'est un merveilleux psychotrope, sans effet secondaire, fait valoir Serge Lebel. Et on n'y devient pas accro comme au vin ou à la cigarette.»

Dans certaines familles, il n'y a plus de fossé intergénérationnel dans la consommation de marijuana. Les filles de Madeleine Groleau* savent qu'elle fume, et vice-versa. Son ex-mari et elle buvaient à peine, mais il leur arrivait de fumer pendant que les enfants faisaient leurs devoirs. «J'ai commencé à 17 ans et j'ai fumé presque tous les jours de ma vie jusqu'à l'âge de 57 ans, sauf pendant mes grossesses.»

Mme Groleau avait son rituel. Pendant le journal télévisé, elle prenait quelques bouffées. Mais pendant un voyage en Europe, elle a constaté qu'elle avait besoin de son petit joint pour s'endormir. Elle a donc décidé d'arrêter de fumer sur une base quotidienne, ce qui s'est fait sans problème, sauf peut-être pour quelques nuits d'insomnie.

Madeleine Groleau a étudié en communications à l'UQAM. Elle a décroché un poste important dans son domaine. À l'aube de la soixantaine, la grand-mère jouit d'un bon salaire et profite d'une belle vie. «En tant que contribuable qui a bien élevé ses enfants, j'ai toujours été insultée de ne pas pouvoir fumer mon petit joint tranquille légalement.»

Elle ne comprend pas pourquoi ses collègues lui font de gros yeux quand ils apprennent qu'elle fume de la marijuana alors qu'eux ne peuvent se passer de leur verre de vin. «J'ai une collègue qui essaie de me convaincre qu'elle boit du vin juste pour le goût. Ben voyons, c'est aussi pour l'effet!»

«Mon voisin prend un coup, mais pour lui, fumer un joint, c'est terrible, poursuit Serge Lebel. Il y a un tabou, un discours entretenu et renforcé qui dit que le pot, c'est mal. Et on maintient un secteur entier d'activité dans l'illégalité. C'est presque un discours pour justifier l'alcool. C'est de l'hypocrisie totale.»

C'est justement pourquoi Richard Dubé* pense que le cannabis devrait être légalisé. «Le pot m'a aidé à mieux vivre avec le genre de personne hyperactive que je suis», indique l'homme de 59 ans, qui s'indigne de voir que le pot n'est pas accepté socialement. Cela le fait bien rire qu'un couple d'amis lui reproche d'être «pris avec ça» alors qu'eux apportent deux bouteilles de vin pour le souper.

Le règne des vieux poteux

Selon Marc-Boris St-Maurice, la société doit se préparer à la multiplication des vieux fumeurs de pot. «À 74 ans, le monsieur ne le prendra pas qu'un préposé aux bénéficiaires lui dise d'écraser son joint», illustre-t-il.

Avec la fermeture des Clubs Compassion par la police en juin dernier, le fondateur du Bloc pot s'en fait aussi pour les malades qui veulent alléger leurs souffrances avec la marijuana. «Ce n'est pas aux patients de payer pour ça, déplore Marc-Boris St-Maurice, rencontré dans le centre du boulevard Saint-Laurent. Ils sont mieux ici que s'ils vont acheter du pot à la station de métro Berri-UQAM à 70 ans.»

Pendant nos recherches, nous sommes tombée sur un texte de Jacques Languirand, écrit pour le journal Voir il y a une quinzaine d'années. «Je me souviens de l'époque où ma femme et moi, de même que nos amis, nous nous cachions de nos enfants pour fumer du pot. Or, un peu plus tard, ce furent nos enfants qui se cachaient de nous. Et nous en sommes aujourd'hui, mes enfants et moi, à nous cacher de mes petits-enfants...» écrit l'animateur, qui explique avoir commencé à fumer du pot un peu avant l'Expo 67.

Mais il y a trois ou quatre ans, M. Languirand a arrêté de fumer. «Je reviens sur mon discours plus permissif d'autrefois. Le pot qui circule actuellement est extrêmement fort. Je connais deux personnes qui ont dû se rendre à l'hôpital, a-t-il expliqué à La Presse la semaine dernière. Le pot est devenu trop dangereux.»

*Nom fictif