Le nombre de médecins en détresse a augmenté cette année, révèlent les dernières statistiques du Programme d'aide aux médecins du Québec (PAMQ), que La Presse a obtenues. Au total, 978 médecins ont demandé de l'aide cette année, comparativement à 871 en 2008-2009. Il s'agissait en majorité de médecins de famille.

Fait troublant, note la directrice générale du PAMQ, la Dre Anne Magnan, les nouveaux cas ont explosé de 30% en cinq ans. Ils sont donc 464 omnipraticiens, spécialistes, résidents ou étudiants à avoir admis leur problème pour la première fois cette année. Ces données ne tiennent pas compte des médecins qui se sont débrouillés seuls.

Le premier motif d'appel à l'aide est la maladie mentale, généralement la dépression, explique-t-on. Viennent ensuite les problèmes de consommation d'alcool ou de toxicomanie, qui constituent, bon an, mal an, entre 8 et 10% des cas. Enfin, ils consultent parce que «le travail les rend malades», affirme la Dre Magnan.

«On se rend compte que le travail n'est pas la cause première des demandes d'aide, mais c'est bien souvent une cause sous-jacente à la détresse, explique la Dre Magnan. Je pense notamment à ce médecin qui travaillait, travaillait, travaillait et qui, tard le soir à la maison, prenait deux, trois verres pour décompresser et recommencer à travailler tôt le lendemain. Le drame a éclaté le soir où sa femme a demandé le divorce. Le divorce était donc le motif de la consultation, mais le travail occupait une grande part du problème.»

Au PAMQ, huit médecins-conseils répondent aux appels de détresse de leurs confrères sous le sceau de l'anonymat. Selon la nature du problème, ils sont dirigés vers des médecins, psychiatres, thérapeutes, parfois même des syndics de faillite. Parce que oui, il y a aussi des problèmes financiers dans le domaine médical.

Les médecins ont ceci de particulier qu'ils attendent vraiment d'être au bord de la crise de nerfs avant de consulter, généralement après plus de huit ans de détresse silencieuse. Ils veulent s'en sortir, mais sans s'arrêter: «Prendre trois mois de congé, c'est inacceptable, dans la profession, parce que les confrères seront pris pour combler le trou», explique la Dre Magnan.

»Souffrance éthique»

Dans le milieu médical, on parle de plus en plus de «souffrance éthique», c'est-à-dire de l'impuissance des médecins face aux limites de la médecine, face à leur incapacité de soigner ou de prendre de nouveaux patients. Un phénomène qui ne serait pas unique au Québec.

Christian Genest, chercheur à l'Université Laval, soutiendra bientôt sa thèse de doctorat à ce sujet. En passant par le PAMQ, il a recueilli les témoignages de nombreux médecins. Et en grattant un peu, il s'est notamment rendu compte que les médecins ont de la difficulté à dire non, ce qui peut entraîner son lot de souffrance.

«Les médecins sont encore souvent perçus comme des dieux, ajoute-t-il. Mais il y a un écart entre ce qu'ils savent et ce qu'ils peuvent faire dans un contexte où l'argent manque, où il est difficile d'avoir du temps en bloc opératoire, d'obtenir un examen de résonance magnétique ou des résultats d'analyses.»

Les proches de médecins en détresse vivent eux aussi des souffrances extrêmes. Au cours des cinq dernières années, 70 membres de la famille d'un médecin ont fait appel au PAMQ.

Le Dr William J. Barakett, président et cofondateur du PAMQ, explique que la famille est toujours la première à souffrir de la détresse des médecins. «Même si on ne travaille pas, on pense toujours à nos patients», dit-il. Aujourd'hui dans la soixantaine, il se souvient d'un incident survenu quand son fils avait 7 ans.

«J'avais l'habitude d'appeler à l'hôpital pour voir si tout allait bien quand c'était mon tour de garde. Une fin de semaine, j'étais avec mon fils pour lui acheter des skis. Je n'étais pas de garde, mais j'ai quand même appelé à l'hôpital, par réflexe. Mon fils m'a posé cette question qui m'est restée: «Mais pourquoi tu appelles si tu n'es pas de garde?»»

La détresse en chiffres

> Nombre de médecins au Québec: 20 034

> Médecins qui ont consulté le PAMQ depuis 1991: 4520

> Âge moyen des médecins de famille qui consultent: 44 ans Des spécialistes: 44 ans Des résidents: 28 ans Des étudiants: 27 ans