L'Ordre des pharmaciens a encore maille à partir avec le Groupe Jean Coutu (PJC). Le directeur des enquêtes de l'Ordre, Jocelyn Binet, a écrit aux quelque 250 pharmaciens affiliés au Groupe pour leur rappeler qu'ils n'ont pas le droit de favoriser la vente de médicaments génériques produits par une filiale de PJC plutôt que d'autres.

Ces pharmaciens utilisent un logiciel fourni par le Groupe Jean Coutu. «J'ai récemment été informé du fait que le logiciel ne permet pas à ses utilisateurs de traiter les génériques de Lipitor (atorvastatin) autres que ceux des compagnies Apotex et ProDoc et ce, malgré la disponibilité sur le marché d'autres génériques du Lipitor», écrit M. Binet dans une lettre datée du 22 novembre, que La Presse a obtenue.

«Cette situation est préoccupante, car la compagnie ProDoc Ltée est également une filiale du Groupe Jean Coutu (PJC) Ltée et la compagnie Apotex Ltée est celle qui fabrique, pour le compte de ProDoc Ltée, les génériques de l'atorvastatin que cette dernière met en marché.»

La lettre s'intitule Enquête - Indépendance professionnelle/conflit d'intérêts. M. Binet rappelle une disposition de la Loi sur la pharmacie: «Il est interdit à un pharmacien de substituer à un médicament prescrit un médicament fabriqué par une entreprise dans laquelle il a un intérêt, direct ou indirect.» «Le pharmacien doit prévenir toute situation où il serait en conflit d'intérêts», dit le Code de déontologie des pharmaciens.

Jointe hier, la vice-présidente aux communications de PJC, Hélène Bisson, a dit que M. Binet se trompe. «Cette lettre est basée sur des allégations qui s'avèrent inexactes, a-t-elle affirmé dans un courriel. Le 22 novembre 2010, il y avait quatre fabricants de médicaments génériques listés dans notre système de commande pour le médicament atorvastatin, soit Apotex, Pharmascience, ProDoc et Sandoz. Les pharmaciens propriétaires de notre réseau qui souhaitent ajouter d'autres fabricants à cette base de données peuvent le faire sans problème. Plusieurs se sont prévalus de ce droit et s'en prévalent encore.»

L'Ordre des pharmaciens refuse de donner d'autres précisions. «On ne peut pas faire de commentaires, car nous sommes dans le cadre d'une enquête du syndic, a dit la directrice de l'ordre, Manon Lambert. Le syndic est indépendant et nous n'intervenons pas dans son travail.»

M. Binet a conclu sa lettre en indiquant aux pharmaciens qu'il souhaitait avoir leur «entière collaboration» pour lui permettre de «régler cette affaire sans avoir à procéder au dépôt de plaintes disciplinaires».

Selon ce que La Presse a appris auprès de pharmaciens, il semble que la menace ait porté ses fruits: plusieurs d'entre eux auraient déjà rectifié leur pratique.

Ce n'est pas la première fois que le torchon brûle entre l'Ordre des pharmaciens et le Groupe Jean Coutu. Dans les années 90, l'Ordre avait interdit à ses membres de vendre des produits du tabac puisque les pharmaciens sont des professionnels de la santé; le Groupe Jean Coutu avait demandé à la Cour supérieure d'invalider cette interdiction. En 2005, le Groupe Jean Coutu avait fait campagne pour se débarrasser du président de l'Ordre des pharmaciens, Jean-Yves Julien, lequel cherchait à réduire l'influence des grandes chaînes et bannières sur sa profession.

En 2007, le comité de discipline de l'Ordre a condamné Jean Coutu à 6000 $ d'amende pour avoir entravé le travail du syndic. M. Binet voulait rencontrer M. Coutu pour lui demander s'il était vrai que son groupe avait offert des «loyers à taux préférentiels à des médecins pour des locaux adjacents ou à proximité de pharmacies affiliées au Groupe Jean Coutu». M. Coutu avait refusé de le rencontrer. Dans un jugement rendu la semaine dernière, la Cour supérieure a annulé l'amende. L'Ordre souhaite interjeter appel.