Dans son «Plan d'action pour l'amélioration des services aux personnes âgées en perte d'autonomie 2005-2010», le gouvernement libéral a mis un frein à l'ouverture de centres hospitaliers de soins de longue durée (CHSLD) pour favoriser la création de «ressources intermédiaires». Celles-ci sont des résidences privées qui signent des contrats avec le réseau public pour accueillir des personnes âgées en perte d'autonomie modérée.

Actuellement, il y a 740 lits de ressources intermédiaires à Montréal, et 450 autres seront ouverts en 2011-2012. Alors que certains établissements offrent des services dignes d'un hôtel cinq étoiles, d'autres empestent l'urine, servent à répétition du pâté chinois et des croquettes de poulet et n'engagent que des préposées aux bénéficiaires qui ne parlent pas français, a constaté La Presse.

En ce jeudi soir de février, à la Villa Sainte-Anne, à Lachine, il flotte une odeur d'urine que parviennent mal à cacher les effluves de nourriture. L'établissement, nouvellement construit, a ouvert ses portes il y a plus d'un an. Il accueille 40 personnes âgées en perte d'autonomie modérée qui nécessitent moins de 3 heures de soins par jour.

Selon les témoignages de résidants ou de membres de leur famille, les services offerts à la Villa Sainte-Anne laissent à désirer. Tous ont voulu taire leur identité par crainte de représailles, mais les histoires de chacun se recoupent.

Par exemple, plusieurs déplorent que la quasi-totalité des employés ne parle pas français. Lors du passage de La Presse, il y a deux semaines, les préposées rencontrées ne parlaient effectivement qu'anglais. Or, plusieurs pensionnaires sont francophones. «Les occupants sont déjà désorientés. Comment peuvent-ils se faire comprendre si les préposées ne parlent qu'anglais?» demande une parente.

Le taux de roulement des employés est aussi alarmant. En un an, la même pensionnaire a reçu les soins de pas moins de 17 préposées différentes. «C'est autant de personnes qui te donnent un bain pendant une année. Essayez de garder une certaine pudeur avec ça!» note un témoin.

La nourriture laisse aussi grandement à désirer. Plusieurs remarquent que l'on sert presque chaque semaine du pâté chinois et des croquettes de poulet. «Ils ont même déjà servi des bouts de saucisses à hot-dog dans de la sauce brune. C'est tout! Certains patients ne mangent carrément pas», affirme un proche.

La porte-parole du centre de santé et de services sociaux (CSSS) Dorval-Lachine-LaSalle, Karine Lacerte, assure que les ressources intermédiaires font l'objet d'une étroite surveillance. Elle explique qu'une coordonnatrice du CSSS se rend une fois par mois sans avertissement à la Villa Sainte-Anne et que des rencontres ont lieu chaque semaine avec la directrice. Mme Lacerte affirme n'avoir reçu aucune plainte officielle concernant cet établissement.

Cette histoire n'est toutefois pas sans rappeler le cas du Pavillon Marquette. Cette ressource intermédiaire de Montréal a fait les manchettes à la fin du mois de janvier. Ses 14 pensionnaires étaient négligés au point où le CSSS Jeanne-Mance l'a fermée. L'incident a poussé la ministre déléguée aux services sociaux, Dominique Vien, à ouvrir une enquête.

Responsable du secteur des établissements privés et communautaires à la Fédération de la santé et des services sociaux, Yves Lévesque soutient que les mesures de contrôle sont insuffisantes. «À la lumière des récentes informations obtenues par les médias au sujet des ressources intermédiaires, la question ne devrait pas être de se demander si les mesures sont suffisantes, mais plutôt si elles existent. En général, les CSSS attendent de recevoir des plaintes avant d'enquêter.»

M. Lévesque estime qu'il est important d'agir, d'autant plus que les ressources intermédiaires se développent à la vitesse grand V au Québec. Les promoteurs privés reçoivent en moyenne 35 000$ par année par pensionnaire, selon les contrats, ce qui inclut les services de préposés aux bénéficiaires. Les soins médicaux sont fournis par les CSSS.

L'exemple à suivre

Si certaines ressources intermédiaires semblent peu encadrées, d'autres sont au contraire étroitement supervisées par les CSSS. C'est le cas du Manoir Saint-Joseph à Montréal.

La Presse a visité mercredi dernier cet établissement du quartier Ahuntsic. La propriétaire, Claire Labelle, est particulièrement fière de sa nouvelle résidence. Les corridors sont larges, les chambres sont claires. Tous les pensionnaires peuvent aller se détendre dans l'une des deux grandes cours intérieures sécurisées de l'établissement.

Les salles de bains sont assez spacieuses pour permettre à un fauteuil roulant d'y circuler facilement. L'accès à la douche est si facile que les préposés donnent systématiquement une douche complète aux pensionnaires. «Ici, des histoires de donner un bain par semaine et de faire une toilette partielle, ça n'existe pas», explique Mme Labelle.

Pour ouvrir cette résidence, Mme Labelle affirme avoir dû respecter une liste très détaillée de critères de construction, que devraient normalement respecter toutes les ressources. «C'est le Guide de mise en oeuvre d'une ressource intermédiaire, qui énumère plusieurs critères très détaillés. Tout respecter, ç'a été très exigeant. Notre contrat fait plus de trois pouces d'épaisseur!» dit-elle.

Mme Labelle ne comprend pas comment certains promoteurs ont pu obtenir des contrats de ressources intermédiaires s'ils ne sont pas parfaitement conformes. «Le CSSS d'Ahuntsic-Montréal-Nord a été exemplaire et nous a vraiment encadrés. On ne pouvait pas faire n'importe quoi!» dit-elle.

Plusieurs résidants rencontrés la semaine dernière au Manoir Saint-Joseph discutaient en riant. Une dame a même accepté de nous faire visiter sa chambre en répétant qu'elle l'aimait beaucoup. Aucune odeur d'urine ne flottait dans l'établissement. «On est un des rares établissements à laver notre linge à l'ozone. Ça ne laisse aucune odeur», explique Mme Labelle.

Comment expliquer une telle différence de qualité entre la Villa Sainte-Anne et le Manoir Saint-Joseph? Les deux doivent en théorie respecter le Guide de mise en oeuvre d'une ressource intermédiaire de l'agence de la santé et des services sociaux de Montréal. Mais, contrairement aux résidences privées pour aînés, qui doivent se plier à des visites d'appréciation de l'Agence, les ressources intermédiaires sont surveillées uniquement par les CSSS. M. Lévesque estime qu'il y a autant de façons de faire que de CSSS. «Tous signent des contrats différents avec les ressources intermédiaires et exercent un contrôle différent, dénonce-t-il. Certains sont sévères, d'autres pas du tout.»