«Parfois, ça revient: je vois tout en vert. Et puis ça s'en va...» Lorsqu'il a fêté son 16e anniversaire, l'an dernier, William a fait ce qu'il faisait chaque week-end depuis deux ans: gober une dizaine de comprimés d'amphétamines en cinq heures. Ce soir-là, le vert est entré dans sa vie. «Le lendemain, ça a duré très longtemps. Je paniquais, alors je me suis couché», raconte l'adolescent de Québec.

Désemparé, William a finalement passé neuf semaines au Grand Chemin, un centre pour jeunes toxicomanes. «Depuis deux ou trois ans, on voit de plus en plus de jeunes comme lui dans nos trois centres. La hausse est fulgurante», révèle le directeur général, Luc Gervais.

Après le cannabis, l'alcool a toujours été la drogue la plus consommée par sa clientèle, tant à Québec qu'à Montréal et Trois-Rivières. «Mais les amphétamines l'ont détrôné: 57% de nos jeunes prennent aujourd'hui du speed, dit-il. Il y a 2 ans, c'était 10 ou 15%, maximum. On n'avait jamais vu ça.»

Au centre Dollard-Cormier, à Montréal, la situation est plus stable : environ 15% des patients de moins de 25 ans consomment des amphétamines. «Sur le terrain, c'est clair que les intervenants en voient beaucoup; c'est une drogue très populaire», précise la coordonnatrice du programme jeunesse, Nathalie Néron.

Les jeunes adultes sont par ailleurs de plus en plus nombreux à nécessiter l'aide d'un médecin avant d'arrêter, ajoute-t-elle.

En fait, les médecins eux-mêmes ont besoin de conseils. «Les amphétamines sont beaucoup plus susceptibles de provoquer des psychoses toxiques que la cocaïne. Les psychiatres étaient tellement débordés aux urgences qu'ils m'ont demandé de leur donner un cours», révèle le Dr Jean-Marc Pépin, qui enseigne au certificat en toxicomanie à l'Université de Sherbrooke et traite les patients du centre de réadaptation Domrémy, à Trois-Rivières.

William a lui-même abouti trois fois aux urgences à cause du speed. «Je tombais, je n'arrivais plus à parler ni à comprendre ce que les gens disaient», raconte-t-il. Son constat: «Un seul des trois médecins m'a conseillé de chercher de l'aide. Ils ne sont pas formés. Ils te donnent quelque chose pour débuzzer et te renvoient chez toi.C'est tout.»

Expulsés de la thérapie

Au Grand Chemin, les intervenants recevront bientôt les conseils d'un spécialiste en intervention de crise du centre jeunesse local. «En arrivant, les jeunes qui prennent du speed veulent nous arracher la tête, explique Luc Gervais. Quand ils arrêtent de consommer, ils font des menaces et hurlent à répétition. On a dû en expulser trois cette semaine.» Plusieurs autres partent d'eux-mêmes, incapables de surmonter leur down.

Au centre Domrémy, aux prises avec le même problème, le Dr Pépin prescrit désormais des antipsychotiques à ces jeunes patients, comme aux schizophrènes. «Sans ça, ils étaient incapables de rester en thérapie plus de 24 ou 48 heures. Ils n'arrivaient pas à maîtriser leur irritabilité et leur impulsivité», dit-il.

Comment expliquer ces explosions? Les amphétamines libèrent beaucoup plus de dopamine (responsable du plaisir) que la cocaïne, et pendant beaucoup plus longtemps, expose le Dr Pépin. En prenant un seul comprimé, on atteint donc les mêmes sommets qu'avec une «consommation industrielle» de cocaïne. La chute - et donc la perte de plaisir - est d'autant plus brutale. «Après un certain temps, arrêter provoque une vraie tempête neurologique, dit le médecin. En attendant que le système nerveux réapprenne à fonctionner sans pics de dopamine, il faut réguler ses variations.»

Pour compliquer encore les choses, les amateurs de speed prennent presque systématiquement d'autres drogues en même temps. Et souvent, beaucoup plus qu'à l'habitude, observe Jean-Sébastien Fallu, professeur à l'École de psychoéducation de l'Université de Montréal. «Quand tu poppes une peanut, là, t'en fumes, des joints. Ça passe comme dans du beurre, tu peux en fumer 15, tu le sauras même pas», lui a par exemple raconté un jeune, rencontré dans le cadre d'une enquête pour le Groupe de recherche en intervention psychosociale (GRIP).

«Les gars prennent du speed parce qu'ils sont capables de boire une caisse de 24 et ça leur fera rien», lui a aussi expliqué une adolescente. Pourquoi se défoncer ainsi? «À l'adolescence, boire beaucoup et rester debout, c'est valorisé, ça fait viril», explique M. Fallu.

De petits dessins

Pour les intervenants, la popularité des amphétamines est facile à comprendre. «Les jeunes, par définition, ont besoin de franchir des interdits et envie de prendre des risques. Puisque le pot est devenu banal, ils veulent essayer autre chose», croit Nathalie Néron, du centre Dollard-Cormier.

«En plus, les revendeurs mettent de petits dessins dessus pour rendre ça attirant», dit-elle.

Comme elle, Luc Gervais énumère: «C'est plus facile à obtenir que de la bière au dépanneur; tu ne te fais pas carter. Ça ne coûte presque rien. L'effet dure des heures. C'est discret puisque ça ne sent rien et que tu l'avales en deux secondes.»

La plupart des jeunes veulent ressentir des émotions fortes, faire la fête, «être dans le même trip» que leurs amis, dit le professeur Fallu. Avec les amphétamines, on peut fêter toute la nuit, lui a dit un jeune. «Tout est plus beau», estime un autre. «On raconte sa vie à tout le monde.»

Des adolescents se servent des amphétamines pour étudier, travailler et même faire le ménage. «Beaucoup de filles veulent maigrir. Au lieu de faire du sport, elles prennent du speed, explique un adolescent. Elles deviennent accros et elles continuent à en prendre, même si elles sont devenues comme un squelette.»

Les parents, eux, ne comprennent pas toujours ce qui se passe. Quand leur enfant s'est enfoncé, ils subissent souvent des crises de rage. «Lorsqu'on doit expulser leur enfant, ils sont désemparés, parce que la DPJ ne va pas nécessairement le prendre», compatit M. Gervais.

À Montréal, le centre Dollard-Cormier peut épauler les parents et mettre au point des stratégies avec eux, même si leur adolescent refuse la cure.

William a heureusement sonné l'alarme lui-même. «Je n'avais plus d'émotions, le speed avait creusé toutes mes réserves. Les gens me parlaient et mon regard était vide. Je n'avais plus de vrais amis, plus personne à qui parler, juste des connaissances.»

Sa mère, comptable, et son père, entrepreneur, pensaient qu'il buvait trop d'alcool. «Je leur ai écrit une lettre pour qu'ils me trouvent de l'aide. Maintenant, notre relation est bien meilleure. On se dit les vraies affaires.»