Le ministère de la Santé a demandé l'aide d'une gynécologue pour convaincre les parents de faire vacciner leurs filles contre le virus du papillome humain (VPH), sans indiquer que ce médecin a été rémunéré par les fabricants du vaccin.

Le Ministère a lancé sa campagne sur son site web, lundi, sous le titre: «Comment protéger sa fille contre le VPH», un virus qui serait à l'origine d'infections et de cancers du col de l'utérus. Le site encourage les internautes à «visionner l'avis de la gynécologue, la Dre Marie-Hélène Mayrand, qui répond aux questions des parents: VPH, efficacité du vaccin, effets secondaires, dangers, etc.»

Or, il n'est indiqué nulle part que la Dre Mayrand a déjà été rémunérée par Merck, fabricant du Gardasil, et GlaxoSmithKline, fabricant du Cervarix. Ces deux vaccins sont remboursés par le gouvernement du Québec.

Dans une notice publiée à la fin d'un article paru en 2007 dans le Journal de l'Association médicale canadienne (CMAJ), la Dre Mayrand, qui cosignait le papier, a signalé ses intérêts, comme l'exigent les règles du CMAJ. Elle a écrit avoir été payée par Merck et GlaxoSmithKline, entre autres, pour de la consultation et des conférences.

Interrogée à ce sujet, la Dre Mayrand reconnaît qu'il y a «apparence de conflit d'intérêts». Mais elle explique qu'en 2007, elle a reçu «quelques centaines de dollars» pour concevoir un programme éducatif en lien avec le dépistage du cancer du col de l'utérus, mais que ce programme ne parlait nullement du vaccin. La Dre Mayrand ajoute qu'aujourd'hui, 80% de son temps est consacré à la recherche et que la quasi-totalité de son salaire est payée par la Régie de l'assurance maladie du Québec.

Le directeur national de santé publique du Québec, le Dr Alain Poirier, croit la Dre Mayrand. «Tous les cliniciens qui ont une expertise sont sollicités pour participer à des recherches de médicaments, dit-il. Si on veut consulter un expert, on a toujours cet enjeu.» Le Dr Poirier indique que c'est le comité d'immunisation, auquel ne siège pas la Dre Mayrand, qui a recommandé à Québec d'adopter le vaccin contre le VPH.

Le Dr Marc Zaffran, du Centre de recherche en éthique de l'Université de Montréal, croit au contraire qu'il y a bel et bien conflit d'intérêts. «Si la Dre Mayrand a déjà reçu de l'argent de compagnies qui fabriquent le vaccin, elle ne peut pas promouvoir son utilisation en toute objectivité», dit-il. Le Dr Zaffran estime également que le gouvernement a commis une faute éthique «en ne choisissant pas un expert indépendant pour promouvoir la campagne de vaccination». «En plus, c'est faux de dire que tous les médecins reçoivent à un moment où un autre des subventions de compagnies pharmaceutiques. Je suis médecin depuis 25 ans et je n'en ai jamais eu», dit-il. Chaque année, des dizaines d'articles sont publiés dans le CMAJ par des auteurs sans conflits d'intérêts.

Une campagne «crapuleuse»

Au cours de leur vie, jusqu'à 75% des femmes et des hommes sexuellement actifs contracteront le VPH. Dans certains cas, le VPH peut mener au cancer du col de l'utérus. Chaque année, 80 femmes en meurent au Québec.

Depuis 2008, le gouvernement du Québec paie pour l'administration d'une dose de vaccins contre le VPH chez les jeunes filles de quatrième année et de troisième secondaire. La campagne coûte annuellement 16 millions de dollars. La première année du programme, en 2009-2010, la popularité du vaccin avait été de 81%. Mais l'an dernier, elle a chuté à 78%. Cette baisse a poussé le gouvernement à lancer une campagne de publicité.

Sur le site web du ministère de la Santé, on utilise un ton qui se veut humoristique pour inciter les fillettes à se faire vacciner contre le VPH. Par exemple, on compare le vaccin à «une alternative tout aussi efficace et sécuritaire: la ceinture de chasteté». Dans ses capsules vidéo, jamais la Dre Mayrand ne mentionne les limites du vaccin.

Pour le Dr Zaffran, cette campagne de publicité est «crapuleuse». «Elle n'est ni scientifique ni conforme à l'éthique. Le gouvernement y ment par omission, plaide-t-il. On ne dit nulle part que les vaccins disponibles ne protègent que contre deux des dix souches de VPH, soit environ 70% des cas.»

Professeure d'épidémiologie à l'Université McGill, Abby Lipman partage cet avis. «Même si 75% des femmes seront infectées par le VPH dans leur vie, dans 90% des cas, ça disparaît sans laisser de traces. On ne le dit pas. Et on ne dit pas non plus que les Pap test sont quand même nécessaires!»

Le Dr Zaffran croit aussi que la meilleure prévention du cancer du col de l'utérus passe par des tests de Pap. «La Finlande passe un Pap test aux trois ans à toutes les femmes, et là-bas, le cancer du col de l'utérus a quasiment disparu, note-t-il. [...] C'est malhonnête de dire que le vaccin est le seul mode de prévention.»

Le Dr Alain Poirier reconnaît que toutes ces informations ne figurent pas dans la campagne de publicité. «Mais dans une petite capsule, on ne peut pas tout mettre», dit-il. Le Dr Poirier ajoute que tous les parents doivent lire et signer un feuillet explicatif de cinq pages, dans lequel sont détaillées toutes les informations sur le vaccin, avant que leur fille puisse être vaccinée.

Pour sa part, la présidente de la Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec (FIQ), Régine Laurent, s'explique mal comment le gouvernement a pu investir autant dans le programme de gratuité des vaccins et réduire la prévention. La FIQ craint que le vaccin crée un faux sentiment de sécurité chez les filles. Mme Laurent est également choquée par le ton de la campagne de publicité de 100 000$, qu'elle qualifie de «méprisant et paternaliste.»

Avec la collaboration de Sara Champagne