Selon des études, le quart des patients qui fréquentent les urgences des hôpitaux accaparent les trois quarts des services offerts. Comment les dissuader de s'y présenter aussi souvent? Un CSSS des Laurentides a tenté une expérience qui a porté ses fruits. Sa recette: prendre en charge chacun de ces «abonnés» aux urgences et lui assurer un suivi étroit. D'autres régions veulent maintenant lui emboîter le pas.

L'an dernier, Catherine Eustace se rendait cinq fois par semaine aux urgences de l'hôpital de Sainte-Agathe pour soigner différents problèmes. Aujourd'hui, elle ne met plus les pieds à l'hôpital sauf pour des rendez-vous planifiés. La jeune femme de 28 ans a été prise en charge par le centre de santé et de services sociaux (CSSS) des Sommets, qui a décidé en 2005 de se débarrasser de ces «utilisateurs abusifs des urgences», dont Catherine Eustace faisait partie. Les résultats de cette initiative sont si probants que plusieurs établissements du Québec tentent aujourd'hui de faire de même.

Plusieurs recherches ont démontré que 25% de la clientèle qui fréquente les urgences des hôpitaux consomme 75% des services qui y sont offerts. Mme Eustace faisait partie de cette catégorie de patients. La jeune femme est née avec une malformation au coeur, pour laquelle elle s'est fait opérer enfant. À 14 ans, elle a subi un accident vasculaire-cérébral (AVC) qui l'a laissée paralysée en bonne partie du côté gauche.

«Après mon AVC, j'ai commencé à prendre des médicaments pour ma tension et j'ai développé une dépendance», explique-t-elle. L'an dernier, Mme Eustace se rendait cinq jours par semaine aux urgences parce qu'elle ne se sentait pas bien. «J'essayais surtout de me faire prescrire toujours plus de médicaments», dit-elle.

Puis Mme Eustace a été prise en charge par l'équipe Défi santé du CSSS des Sommets. «J'ai fait une cure de désintoxication. J'ai été, et je suis encore, suivie par une infirmière et une travailleuse sociale. On a changé ma médication. Je ne suis plus capable de m'organiser depuis mon AVC et l'équipe m'aide avec ça. On m'a appris à planifier mes rendez-vous et ma prise de médicaments», explique Mme Eustace.

Libérer les urgences

Voyant qu'une petite portion de la clientèle accaparait une grande part des soins aux urgences, la directrice des soins infirmiers du CSSS des Sommets en 2005, France Laframboise, et le Dr Jean Mireault ont mis sur pied le programme Défi santé. L'objectif: prendre en charge une soixantaine de patients grands consommateurs de soins aux urgences pour les amener à trouver de l'aide à un autre endroit.

Au départ, il a fallu connaître cette clientèle. Une surprise attendait les dirigeants du CSSS. «C'était une clientèle dans la cinquantaine, donc beaucoup plus jeune qu'on ne le pensait. C'était surtout des gens avec des problèmes de santé mentale, de toxicomanie, des problèmes cardiaques ou respiratoires chroniques», indique le chef du programme Défi santé, Alain Paradis.

Chaque client a ensuite pu bénéficier du suivi étroit d'une infirmière et d'une travailleuse sociale. Au départ, Défi santé a été financé par une fondation et a été un projet pilote jusqu'en 2008. Puis, un vrai programme a été lancé au coût d'environ 100 000$ par année. «Étant donné les retombées, on peut dire que ça ne coûte presque rien», note M. Paradis.

Au CSSS des Sommets, les résultats sont probants. «On a calculé le nombre de visites aux urgences que cette clientèle faisait avant d'être prise en charge par Défi santé. On l'a comparé au nombre de visites aux urgences qu'elle faisait après. Le taux de réduction des visites a été de 72%», explique M. Paradis. Le nombre d'admissions à l'hôpital a aussi diminué de 75%, et le nombre de jours-présence en hospitalisation a chuté de 90%. «C'est très impressionnant comme résultats», note M. Paradis.

Autre retombée importante: le personnel des urgences voit sa charge de travail diminuer. Les effets sont aussi positifs sur la clientèle. «Le programme m'a aidée à avoir une meilleure vie», dit Mme Eustace. Puisque sa médication est mieux ajustée, la jeune femme a repris du poids. «J'ai maintenant assez d'énergie pour m'entraîner une fois par semaine. Je commence à être capable d'utiliser un peu plus mon bras gauche», dit-elle.

Faire des petits

Alors que les urgences du Québec sont souvent débordées, l'initiative du CSSS des Sommets intéresse plusieurs régions. «On reçoit plusieurs visites par année de nos collègues», indique Paradis.

L'agence de la santé et des services sociaux de la Capitale-Nationale a implanté, il y a un an, le programme Alliance de prise en charge des grands utilisateurs de services. «On a évalué que 1500 de nos patients consommaient beaucoup de services aux urgences. Ils faisaient ensemble 21 000 visites aux urgences par année», explique Michèle Lafrance, conseillère-cadre à l'agence de la Capitale-Nationale.

La pression exercée par ces patients était encore plus grande dans les CLSC du territoire. Chacun des 1500 grands consommateurs de soins faisait en moyenne 81 visites en CLSC par année pour un total de 55 000 interventions.

L'automne dernier, on a demandé à une cohorte de 330 patients de Québec de participer au programme Alliance. Ils ont le même profil que la cohorte du CSSS des Sommets. «Étonnamment, 95% de ces clients ont un médecin de famille. Mais leurs problèmes sont trop complexes et on peine à répondre à tous leurs besoins», note Mme Lafrance.

Des infirmières gestionnaires de cas ont pris en charge chacune de ces personnes. L'objectif est qu'au bout de huit mois, la majorité des patients aient été dirigés vers les bons services et n'aient plus besoin du soutien du programme Alliance. «Certains y parviennent, d'autres non. Mais c'est ce qu'on vise au final», dit Mme Lafrance.

Pour l'instant, l'agence de la Capitale-Nationale n'a pas dressé de bilan. Elle compte le faire au cours des prochains mois. Mais déjà, les impressions des intervenants sur le terrain laissent croire que les retombées sont plus que positives.

Projet abandonné

Les projets-pilotes mis en place dans le réseau de la santé ne font pas toujours des petits. En 2001, un projet-pilote de services à domicile pour les personnes âgées en perte d'autonomie baptisé SIPA avait été testé dans deux CLSC de Montréal, au coût de 11 millions. L'objectif du programme était d'offrir suffisamment de soins à domicile aux aînés pour ralentir leur admission en centre d'hébergement, où les services sont plus coûteux. Le projet-pilote avait remporté un vif succès. Il avait notamment permis de faire diminuer de moitié les demandes d'admission en centre d'hébergement. Le nombre de jours d'hospitalisation chez les participants au projet a quant à lui été réduit du tiers. Plusieurs autres régions voulaient implanter ce programme. Mais en 2002, les budgets accordés au SIPA ont été coupés. L'enveloppe budgétaire est subitement passée de 4,4 millions de dollars à... 567 482$. Faute d'argent, le programme a été abandonné.