Depuis sa fondation en 1970, l'Institut Philippe-Pinel reçoit les patients qui souffrent de troubles psychiatriques les plus dangereux du Québec. Il s'enorgueillit de les accueillir comme un hôpital, pas comme une prison. Mais en avril dernier, tout a basculé lorsqu'une dramatique prise d'otages a forcé 13 employés à partir en arrêt de travail. La CSST réclame maintenant un rehaussement de la sécurité. Pour la première fois, plusieurs personnes qui étaient présentes ont accepté de raconter ce qui s'est vraiment passé ce jour-là.

Enfermés dans leur poste de surveillance, les employés tentent de calculer combien d'entre eux pourront lancer l'assaut en même temps.

Ils font face à l'un des pires prédateurs sexuels du Canada, qui tient en otages trois de leurs collègues à la pointe d'un fusil et d'un couteau. Le forcené s'apprête à agresser l'infirmière sans défense ligotée devant lui. La police est encore loin. Tout ce que les employés ont en main, pour affronter le danger, c'est une vulgaire paire de menottes.

Mince consolation : selon leurs calculs, leur nombre est probablement supérieur à celui des projectiles contenus dans l'arme. Certains d'entre eux devraient donc s'en tirer indemnes.

Un drame annoncé

Les employés de l'Institut Philippe-Pinel présents le 29 avril dernier n'oublieront jamais cette scène ni le calcul morbide auquel ils ont dû se livrer. Plusieurs se demandent toujours comment ils ont pu en arriver là.

Tout laissait pourtant croire qu'Alain Ducap allait récidiver. La direction savait à qui elle avait affaire. Le délinquant dangereux de 51 ans était même un habitué de ce genre d'explosion de violence.

Agressé par son père pendant son enfance, il a multiplié les condamnations en vieillissant : agressions sexuelles avec ou sans arme, tentative de meurtre, séquestrations, vols qualifiés.

En janvier 1989, alors qu'il est en liberté illégale, Ducap fait irruption dans le cabinet d'une médecin. La femme est enceinte. Il la ligote et lui bande les yeux. En pointant une arme sur sa tempe, il la force à se livrer à des actes sexuels. La victime demeure traumatisée.

Un rapport rédigé pendant son procès conclut que Ducap est un déviant sexuel dangereux en raison du « sentiment de haine et de vengeance » qu'il semble entretenir à l'endroit de la société en général, et des femmes en particulier.

Le personnel carcéral constate vite sa dangerosité. Ducap prend en otage son agent de libération conditionnelle pendant des heures. Il menace une infirmière. Il cache des lames de couteau prêtes à servir au palais de justice de Montréal.

En 2001, il prend la clé des champs pendant une libération conditionnelle dans l'Ouest canadien. À 2 h du matin, deux étudiantes dans la vingtaine le voient surgir alors qu'elles traversent une cour d'école d'Edmonton. Ducap les ligote et les viole sous la menace d'un fusil de chasse tronçonné, en précisant que « cela leur apprendra à être dehors si tard ».

Le fugitif poursuit sa cavale vers Calgary et récidive quelques jours plus tard. Il pointe son arme sur une adolescente de 15 ans, l'attache et l'agresse sexuellement.

Première tentative infructueuse

Après son retour en prison, il est accepté, malgré sa dangerosité, dans le programme pour délinquants sexuels de l'Institut Philippe-Pinel. Mais il s'en fait vite expulser, car il menace d'agresser une stagiaire. Un pic artisanal est découvert après son départ. Personne ne peut prouver que l'arme est à lui, même si ceux qui le connaissent le soupçonnent fortement.

L'Institut accepte de le reprendre pour un deuxième essai quelques années plus tard. La dernière analyse de la Commission nationale des libérations conditionnelles est toutefois claire : Ducap présente un risque élevé de récidive sexuelle ou violente. Son état démontre toujours une paraphilie sexuelle caractérisée par l'agression d'adolescentes ou de jeunes adultes.

Ducap a peu à se soucier des fouilles et contrôles de sécurité à Pinel. En tant que patient d'un institut médical, il est bien loin du système carcéral auquel il est habitué.

« Un gars qui sortait une heure par jour au pénitencier se retrouve au large ici et il fait ce qu'il veut », explique un membre du personnel qui a connu Ducap.

« Les gars comme ça sont des pourris en prison, mais ici, ce sont des rois. Leur attitude envers les démunis, c'est " tasse-toé, pis donne-moé ton dessert " », explique l'employé.

Pendant les cinq mois qui suivent son retour à Pinel, Ducap demeure fermé. Ce n'est que dans les trois dernières semaines de son séjour qu'il s'ouvre sur ses fantasmes déviants. Il confie être obsédé par une infirmière qui travaille à l'Institut. Il en fait une dangereuse obsession. Lorsque la jeune femme finit de s'entraîner au centre de conditionnement physique, Ducap va renifler le banc où elle était assise. Il se masturbe allègrement.

Ducap est finalement avisé que son cheminement n'est pas satisfaisant à Pinel et qu'il devra retourner en prison. Il réclame alors son « repas du condamné à mort ». Une allusion qui n'est pas prise au sérieux.

Le vendredi 29 avril, un médecin reçoit Ducap en consultation privée dans un bureau pour discuter de son transfert imminent vers le pénitencier. Ducap exhibe une arme à feu. Il s'agit en fait d'une imitation ultra réaliste façonnée avec du savon et de la peinture ; le médecin n'y voit que du feu. Le délinquant sexuel brandit aussi un couteau artisanal fabriqué avec un cadre de fenêtre affûté. Il sort plusieurs lacets de chaussure et ligote le médecin. Sous la menace, il force ce dernier à téléphoner pour faire venir un criminologue. Ignorant qu'il tombe dans un piège, celui-ci entre dans le bureau et se retrouve ligoté lui aussi.

Alain Ducap répète le même manège en faisant appeler l'infirmière sur laquelle il fantasme depuis des mois.

Après l'avoir ligotée à son tour, il fait transmettre au poste de surveillance une liste de demandes. C'est à ce moment que l'alerte est donnée. Des personnes présentes se souviennent que c'est alors la confusion totale. Personne n'est formé pour faire face à ce genre de situation.

L'équipe d'intervention de l'Institut arrive en renfort. Elle n'a pas de boucliers. Pas d'armes non plus, puisque celles-ci sont interdites dans l'établissement. Seulement une paire de menottes.

Pendant qu'elle tente de négocier, la direction fait appeler la Sûreté du Québec. Mais dans le poste de surveillance, le personnel comprend que la police arrivera trop tard. Ducap tente de s'en prendre à l'infirmière. Tous sont convaincus qu'il va la violer. C'est à ce moment qu'ils comparent le nombre de balles pouvant être tirées et le nombre d'employés présents.

À l'attaque

Soudain, le médecin fait irruption hors du bureau. Il a les yeux à demi bandés, une main toujours attachée. Il hurle à ses collègues de venir sauver l'infirmière. Les employés courent vers le bureau et aperçoivent l'infirmière, blessée par des coups de couteau, qui tente de se protéger derrière une chaise. Le criminologue, qui a pu défaire ses liens, lutte avec Ducap.

Un sociothérapeute se jette dans la bagarre. Sous l'effet de l'adrénaline et de la peur, il semble hors de lui. Ses collègues devront lui faire lâcher Alain Ducap de force, alors qu'il l'étrangle et que celui-ci semble sur le point de perdre connaissance.

Une fois le calme revenu, les personnes impliquées ont la surprise de voir arriver le commissaire aux plaintes de l'établissement, suspicieux. « Qu'est-ce qu'ils ont fait au patient ? Il est blessé ! », lance-t-il.

La réponse ne tardera pas. Ducap gardait en réserve une autre lame, cachée dans un orifice corporel. Elle l'avait coupé de l'intérieur pendant qu'il se débattait.

Soigné en prison, le multirécidiviste s'est aujourd'hui remis de ses blessures.

L'infirmière qu'il a attaquée, elle, tente de retrouver une vie normale. Elle n'est toujours pas retournée au travail.