Aux États-Unis, des facultés de médecine prestigieuses comme Princeton, Stanford et Harvard enseignent désormais la mesure des dommages cumulatifs, souvent invisibles, causés par le stress chronique.

Au Québec, la chercheuse Sonia Lupien a encore l'impression de prêcher dans le désert: «Les chercheurs doivent transférer leurs connaissances, alors j'en parle aux médecins à chaque occasion. Mais comme les autres humains, ils manifestent une résistance naturelle au changement.»

Le manque de réceptivité de ses confrères ne surprend pas le Dr André Arsenault, auteur de Stress, estime de soi, santé et travail et chercheur à l'Institut de cardiologie de Montréal. «Une des premières choses que le médecin apprend à faire, c'est de nier son propre stress, dit-il. Alors, en cette matière, il est un très mauvais conseiller. À ses yeux, le problème existe seulement à partir du moment où il peut prescrire une pilule et où le patient a une complication.»

Aux États-Unis aussi, des progrès restent à faire, constate Gordon Horwitz, qui a vendu le test de son entreprise, Allostatix, à une vingtaine d'employeurs. Ces derniers voulaient savoir quelle proportion de leur personnel se situait dans chaque grande catégorie de risque (verte, jaune ou rouge) afin de leur offrir des programmes de prévention mieux adaptés (et réduire éventuellement l'absentéisme dû au stress).

«Les médecins prescrivent des médicaments en silo, selon leur spécialité, dit M. Horwitz. Mais certains commencent à s'ouvrir à la médecine intégrée, car le stress coûte très cher.»

Les employeurs, les assureurs et les travailleurs essuient des pertes de productivité, de revenus ou de salaire. Et l'État se retrouve écrasé par le coût des soins de santé.

D'après une étude de l'Université Concordia publiée il y a deux mois, les gens dont la profession comporte un niveau élevé de stress consultent un médecin 26% plus souvent que les autres - environ quatre fois par an plutôt que trois. «D'autres recherches ont lié le stress aux maux de dos, au cancer colorectal, aux maladies infectieuses, aux problèmes cardiaques, aux maux de tête et au diabète», énumère le chercheur Mesbah Sharaf, doctorant au département de sciences économiques.

Le stress professionnel peut aussi détériorer la santé en favorisant la sédentarité, le tabagisme et la consommation abusive de drogue, d'alcool ou d'aliments gras et sucrés, dit-il.

De quoi convaincre la communauté médicale? Le Dr André Arsenault en doute. «Le délai entre l'action préventive et la disparition des conséquences liées à la non-prévention est trop long. Cela reviendrait à magasiner et à mettre de côté quelque chose qui va peut-être servir dans 10 ans. Ça n'entre pas dans un plan politique», dit-il.

En désespoir de cause, Sonia Lupien veut offrir aux médecins un calculateur de poids allostatique sur le site web du Centre d'études sur le stress humain. Appel à tous: «Si la population le désire, on va le faire ensemble, dit-elle. On n'y arrivera pas en attendant les hautes instances.»