La vie moderne est pleine de stress. Mais certains en encaissent en apparence plus que les autres. Pour vérifier si leur corps s'en ressent, cinq Montréalaises, dont quatre mènent une carrière exigeante tout en élevant de jeunes enfants, ont donné un peu de leur sang ou quelques cheveux afin d'essayer les nouveaux tests biologiques dont nous vous avons parlé hier.

Gérer des employés peut s'avérer plus stressant que de s'exposer aux attaques des talibans ou aux fuites nucléaires. C'est ce que révèlent les résultats de tests surprenants menés sur les cheveux de quatre de nos cinq volontaires, qui occupent des fonctions fort différentes. L'intérêt de ces tests novateurs: découvrir si l'on est au bord du gouffre, et, moyennant certains efforts, éviter d'y tomber.

Plutôt que de répondre aux traditionnels questionnaires psychologiques, nos quatre volontaires ont donné quelques dizaines de cheveux, coupés le plus près possible du crâne. Leurs mèches ont été postées, puis analysées à l'Université Western Ontario, au laboratoire du toxicologue et pharmacologue Gideon Koren, l'un des rares chercheurs déjà capables de mesurer l'accumulation de cortisol dans la chevelure.

Comme la drogue, cette hormone de stress s'installe dans les follicules des cheveux, probablement par l'intermédiaire des capillaires sanguins, du sébum et de la sueur. Il est maintenant possible de l'extraire et de la quantifier en nanogrammes (soit en milliardième de gramme). Chaque centimètre de cheveux correspond grosso modo à un mois donné. Autrement dit, plus la mèche analysée est longue, plus on peut remonter loin dans le temps, quoique avec moins de précision.

Premier constat: élever trois enfants tout en gérant 40 personnes dans un secteur d'activité très instable peut s'avérer beaucoup plus stressant que de travailler dans le même secteur comme simple employée. Et même plus stressant que de s'envoler en zone dangereuse. Les cheveux d'une Montréalaise devenue cadre contenaient en effet 652 nanogrammes de cortisol par gramme (ng/g). C'est un niveau trois fois plus élevé que celui atteint par deux autres de nos cobayes lorsque leur travail les a amenés dans des zones dangereuses. C'est même un niveau cinq fois plus élevé que celui qu'elle affichait elle-même avant sa promotion, alors que son poste l'amenait à côtoyer régulièrement les plus démunis.

«Comparer deux périodes données chez la même personne est fiable et révélateur», affirme le doctorant Evan Russell, qui a réalisé les tests avec le Dr Koren. Ainsi, dit-il, cela pourrait déjà servir à mesurer l'efficacité de thérapies destinées à gérer le stress, ou encore, à mesurer l'impact réel d'un bouleversement majeur.

Tant que les chercheurs n'auront pas établi la fourchette de la normale, il demeure par contre difficile de savoir à partir de quel seuil il convient de s'alarmer, nuance-t-il. Car le niveau de cortisol peut changer significativement d'une personne à l'autre, comme c'est le cas des niveaux de cholestérol et de glucose dans le sang. On sait à tout le moins qu'il est plus élevé chez les femmes que chez les hommes, et encore davantage chez les femmes enceintes. C'est pourquoi toutes nos participantes sont du même sexe.

Accros à l'adrénaline

Chez nos deux volontaires habituées au danger, la réponse au stress se révèle étonnamment modérée, grimpant dans les deux cas de 145 (ou 150) ng/g lorsqu'elles se trouvent à Montréal, jusqu'à 214 ng/g lorsqu'elles se rendent dans des zones à risque. La première a pourtant dû partir à trois reprises lors de la période analysée. Elle a occasionnellement été malmenée, a dû fuir et se cacher, tout en manquant de sommeil et parfois de nourriture.

Après ses vacances, la seconde a notamment dû se rendre en Irak et en Afghanistan, où les travailleurs étrangers risquent d'être enlevés et où elle a travaillé jusqu'à 18 heures par jour pendant quelques semaines d'affilée.

Comment leur niveau de stress a-t-il pu ne pas exploser? À la base, certaines personnes produisent moins de cortisol, puisque leurs gènes ou leur tempérament les favorisent à cet égard, répond M. Russell. Leur mode de vie - par exemple, l'habitude de faire du sport - peut également les aider à évacuer le stress plus efficacement.

Tout dépend aussi de la façon dont on perçoit un événement: une personne peut perdre le sommeil à l'idée de sauter d'un hélicoptère en plein vol pour atterrir sur une pente de ski, alors que l'autre y prend plaisir, rappelle souvent Sonia Lupien, directrice scientifique du Centre de recherche Fernand-Seguin de l'hôpital Louis-H. Lafontaine et directrice du Centre d'études sur le stress humain.

D'après les recherches, tous les stresseurs ne sont quand même pas égaux. Dans la célèbre échelle de Holmes et Rabe, utilisée depuis 1967, la mort d'un proche, la séparation ou la maladie (y compris celle d'un proche) sont jugées particulièrement perturbantes. Le fait d'avoir appris que sa mère avait le cancer expliquerait ainsi qu'une de nos volontaires affiche aujourd'hui un taux de cortisol anormalement élevé, soit presque deux fois plus qu'à l'époque où elle était cadre et se sentait beaucoup plus stressée.

Dans pareils cas, il demeure possible d'agir pour stopper sa production de cortisol, rappelle Robert-Paul Juster, qui a pu observer l'impact du deuil et de la maladie dans le cadre de ses travaux avec Sonia Lupien.

«Le problème, c'est qu'on ne peut juger un livre à sa seule couverture, souligne l'Américaine Melinda Miller, qui mesure les ravages du stress pour l'entreprise américaine Allostatix. Certaines personnes sont plus stressées qu'elles le pensent, et vice versa.»

* **

PARTICIPANTS /LEUR SITUATION* /TAUX DE CORTISOL (ng/g)

Volontaire 1

1. En vacances, puis au travail comme gestionnaire / 652

2. Au travail comme simple employé / 122

Volontaire 2

1. En vacances, puis au travail à Montréal / 145

2. Au travail dans des zones dangereuses / 214

Volontaire 3

1. En vacances, puis en préparation et exécution d'une mission d'un mois ailleurs dans le monde / 214

2. Au travail à Montréal  / 150

Volontaire 4

1. En vacances, puis au travail à Montréal / 509

2. Au travail comme gestionnaire / 290

* Pour chaque personne, la première mesure couvre les mois de juillet, août et septembre derniers. La deuxième mesure couvre une période antérieure, de trois mois elle aussi.

* * *

PLUS STRESSÉS QUE CERTAINS CARDIAQUES

Depuis que le Dr Gideon Koren mène des études sur le sujet, le niveau de cortisol de ses participants se situe typiquement entre 200 ng/g et 400 ng/g. Lors d'une étude publiée l'an dernier, 56 victimes de crise cardiaque présentaient par exemple un niveau de cortisol moyen de 295 ng/g dans les trois mois précédant leur infarctus, contre 225 ng/g pour les 56 autres patients formant le groupe de contrôle. Un écart de quelques dizaines de nanogrammes semble donc significatif. Cela dit, les résultats varient énormément d'une personne à l'autre. À titre d'exemple, le niveau de cortisol des cardiaques étudiés par le Dr Koren se situait entre 105 ng/g et 809 ng, tandis que celui d'autres types de patients formant le groupe témoin se situait entre 77 ng/g et 950 ng/g.