Chaque jour, Cécile Normandin, 55 ans, danse au rythme des Bee Gees. Elle fait tourner l'album Saturday Night Fever en boucle. Elle se déhanche, un sourire béat aux lèvres. Se souvient-elle des années disco? La musique est désormais son unique intérêt.

Son mari, Normand Poliquin, porte sur elle un regard empreint de tendresse. De nostalgie aussi. «L'amour n'est plus vraiment là, c'est plus de la compassion. Je dois la placer, mais j'ai peur qu'elle dépérisse d'un coup. C'est la décision la plus déchirante de ma vie.» Comme un deuil, confie-t-il.

Il y a cinq ans à peine, Cécile enseignait l'informatique au cégep. C'est à ce moment, au tournant de la cinquantaine, que les premiers signes de la maladie ont fait surface. Elle passait de longues soirées au sous-sol à préparer ses cours. Ça durait souvent jusqu'à 23 h. «Elle n'arrivait plus à se concentrer. Elle se fâchait pour un rien. Quelque chose clochait. On a cru que c'était un burnout», raconte Normand.

Elle a pris un congé sans solde, mais le repos n'a rien changé. Pendant des mois, elle a camouflé ses difficultés. Elle payait tous ses achats avec des billets de 20$. «Elle ne savait plus calculer.» Alors qu'elle avait un français impeccable, elle a commencé à multiplier les fautes. «Elle se plaignait qu'elle n'était pas intelligente. Je l'encourageais, je la motivais sans arrêt.»

Après avoir consulté quelques médecins, le diagnostic est tombé. Cécile n'en a rien su. «J'ai tenté de lui en parler, mais elle niait tout de suite et changeait de sujet. J'ai préféré lui cacher cette vérité trop cruelle.» Leur fille de 27 ans a aussi mis du temps à accepter la maladie. «Il n'y en a pas dans la famille, alors elle n'y croyait pas», raconte Normand.

Il montre des portraits de sa femme. Avant la maladie. «C'était une belle femme, très fière. Elle aimait beaucoup la mode et la décoration, elle était sportive», confie-t-il. «Les hommes se retournaient tous sur son passage», ajoute sa belle-soeur, venue faire le ménage de leur maison de Trois-Rivières.

Même sans maquillage et sans mise en plis, on devine la coquetterie de Cécile. Elle porte des lunettes mode et ses ongles sont vernis de rouge. Devant le photographe, elle prend même la pose avec un sourire taquin. «Beau bonhomme!», lui lance-t-elle.

Cécile a toujours dit ce qu'elle pensait, souligne son mari. «Elle pouvait être assez directe.» Maintenant, les mots sortent au compte-gouttes. Elle se fâche rarement. Elle ne rit presque plus. Même son jardin, qu'elle soignait sans compter les heures, ne lui dit plus rien. La semaine dernière, elle a arraché une branche du bonsaï devant la maison, en proie à une de ses nombreuses hallucinations. «Elle est parfois si effrayée qu'elle en tremble, c'est terrible de la voir», confie sa belle-soeur.

Cécile se lève la nuit, désorientée. Elle n'arrive plus à tenir ses ustensiles ou elle refuse de manger. Même son hygiène de base devient un casse-tête. «C'est très lourd.» Leur fils de 23 ans a quitté la maison le mois dernier. «Ça mettait de la vie, mais je ne pouvais pas lui demander de rester. Il a sa vie.»

Normand est représentant sur la route, un bon vendeur. «Cette année, le coeur y est moins, mais ça me fait du bien de sortir de la maison.» Pendant que Normand travaille, Cécile se rend à la maison Carpe Diem. Elle y dort aussi une nuit par semaine. Il prétend qu'il est à l'extérieur pour le travail, sinon elle refuse. Chaque fois, Cécile l'attend avec hâte, comme ce matin. Dès qu'elle le voit, elle s'agrippe à lui et ne le lâche plus. «On y va», le presse-t-elle, en trépignant. Il lui met son manteau, patient.

Normand s'occupe de sa femme du mieux qu'il peut. L'an dernier, il a même tenté une sortie. Ils ont assisté au spectacle de l'humoriste Daniel Lemire. «Ç'a été la catastrophe. Elle me demandait ce qu'il disait, elle ne comprenait pas. Les spectateurs autour se fâchaient.» Aujourd'hui, il évite même les rassemblements familiaux. «Aux enterrements, c'est atroce.» Il n'en peut plus de la curiosité malsaine des uns et des regards de pitié des autres. «Ça me brise le coeur.»

Parfois, Cécile dit qu'elle aimerait sortir et voyager. «Je lui promets que nous le ferons quand elle ira mieux», confie Normand, les larmes aux yeux. Le couple avait prévu visiter l'Europe. Normand ira seul. «Quand ce sera fini, j'irai faire le chemin de Compostelle.» Il souhaite aussi gravir le mont Kilimandjaro avec sa fille. Une façon pour lui de voir enfin loin devant et d'apprécier à nouveau le calme. Sans les Bee Gees.