«J'ai commencé mes études en médecine avant l'épidémie du VIH, je l'ai vue arriver et j'espère la voir disparaître», écrit le Dr Jean-Pierre Routy dans Ce que le sida a changé, livre instructif écrit sous forme d'abécédaire publié cet automne chez Héliotrope, à l'occasion des 30 ans de la découverte du virus. Acteur de la lutte contre le sida au Québec depuis 1990, l'hématologue y raconte l'impact qu'a eue l'épidémie sur la pratique médicale et comment elle a radicalement changé sa vie.

«Je n'aurais jamais pensé que, dans ma carrière, je ferais un jour partie d'un groupe de travail consacré à l'éradication de la maladie», dit en entrevue le clinicien chercheur, qui travaille également au service d'immunodéficience de l'Institut thoracique. La semaine prochaine, 150 experts membres du comité d'éradication de la Société internationale du sida se réuniront en effet à Saint-Martin pour établir les priorités de la recherche en matière de guérison du VIH-sida. «Je me dis que c'est une chance que j'ai de vivre ce moment historique.»

Dans Ce que le sida a changé, le Dr Routy montre comment il est toujours douloureux de vivre avec le sida et que ceux qui en sont atteints portent souvent un lourd fardeau. Il rappelle aussi par quoi les patients de la première vague sont passés. «C'était l'horreur», se remémore-t-il en parlant de ses premières années de médecine à Aix-en-Provence, au début des années 80, alors qu'il s'est retrouvé «sur la ligne de front». C'était l'époque où les chances de survie des patients, cadavériques et couverts de sarcomes de Kaposi, étaient nulles. «Nous avons vécu ce que seuls des médecins qui pratiquent la médecine de guerre peuvent vivre.»

La pandémie est freinée

Trente ans plus tard, Jean-Pierre Routy se réjouit de voir que la pandémie est en diminution dans le monde, même en l'absence de vaccin. «C'est la bonne nouvelle de l'année!» Ce sera d'ailleurs le thème du prochain congrès de l'Association canadienne du sida, qui aura lieu à Montréal en avril.

Ces bons résultats sont dus à l'efficacité des traitements; lorsque le virus est bloqué, le risque de transmission est 1000 fois moindre, explique le chercheur. C'est pourquoi la maladie est en régression même en Afrique, où la moitié des personnes infectées prennent maintenant des antiviraux. N'empêche que le défi reste entier sur le continent africain. «Notre pire ennemi, ce sont les guerres, avec les déplacements de population, les viols. Dans des périodes comme celles-là, la trithérapie devient secondaire.»

On meurt encore du sida au Québec, mais dans des cas très précis: si le malade a consulté trop tard, par exemple, ou si le virus est «multirésistant». Et il y a encore un pourcentage relativement élevé - autour de 17% - de gens infectés qui ne le savent pas. La prévention reste donc le nerf de la guerre, par des tests de dépistage même pour les gens à faible risque et, bien sûr, par le port du condom.

Malgré tout, le Dr Routy mesure l'ampleur des progrès. «Quand je vois des patients, qui auraient été condamnés il n'y a pas si longtemps, voyager, créer, avoir des enfants, je suis presque plus content qu'eux!» Et il ne peut s'empêcher de s'émouvoir devant ces jeunes adultes nés avec le VIH il y a 18 ou 20 ans, bien portants et menant une vie équilibrée.

«Le sida nous a montré qu'en période de crise, ce ne sont pas seulement les experts qui peuvent trouver des solutions», dit le Dr Routy en parlant des efforts concertés des groupes de pression homosexuels, des associations de patients, des médecins et des autorités publiques. «C'est peut-être un exemple à suivre en temps de crise économique. De la cacophonie et de l'affrontement peuvent naître des solutions.»