Aînés maltraités. Établissements malpropres. Résidants souffrant de malnutrition... Les drames se déroulant dans les centres d'hébergement pour personnes âgées du Québec font très souvent les manchettes. Ces événements font oublier que chaque jour, des centaines de bons coups sont réalisés dans ces établissements. Au cours des dernières semaines, La Presse a visité trois centres d'hébergement public pour aînés qui se démarquent par la qualité des soins offerts.

1. Centre d'hébergement Argyll (Sherbrooke)

Visiter un proche qui perd son autonomie, qui a toujours le regard vide et qui ne nous reconnaît plus peut être troublant. Pour éviter ces malaises, plusieurs personnes délaissent les membres de leurs familles hébergés en institution. Mais au centre d'hébergement Argyll à Sherbrooke, l'ambiance est si agréable que même de purs étrangers viennent passer des soirées avec les résidants!

Grâce à une programmation riche en activités, les 260 personnes âgées qui habitent au centre d'hébergement Argyll, dont 80% souffrent de troubles cognitifs, ne s'ennuient jamais. Tous les jeudis, une activité «pub» est tenue. Pendant une heure trente, des musiciens viennent jouer dans une grande salle où les résidants sont invités à prendre une bière, un verre de vin ou une boisson gazeuse.

«On filme les soirées et c'est diffusé en temps réel dans les chambres, pour ceux qui ne peuvent se déplacer, explique la récréologue Annie Masson. Des gens du quartier, qui n'ont même pas de famille ici, viennent à ces soirées tellement c'est agréable!»

Chaque semaine, les familles sont invitées à participer aux différentes activités. «On va au musée, au restaurant, on va magasiner. À Noël, on va voir les décorations», énumère Mme Masson.

Des formations sont aussi offertes aux familles pour les aider à rendre leurs visites plus agréables. «Au lieu de passer son temps à demander à sa mère qui souffre d'alzheimer si elle se souvient de nous, on est mieux de faire une activité qu'elle va aimer. Si elle aimait le shortcake aux fraises, on peut apporter des fraises et les équeuter avec elle. C'est le genre de trucs qu'on donne», illustre Annie-Andrée Émond, conseillère en communication au centre de santé et de services sociaux (CSSS) de l'Institut universitaire de gériatrie de Sherbrooke, dont fait partie le centre d'hébergement Argyll.

André Desharnais habite au centre d'hébergement Argyll depuis deux ans. Il y est entré à la suite d'un infarctus. Âgé de seulement 65 ans, il se décrit lui-même comme «le bébé de la place». Président du comité des résidants, il s'occupe aussi du journal local. «Je crée des mots croisés», dit-il. S'ennuie-t-il? «J'ai pas le temps!»

Madeleine St-Cyr, 97 ans, habite elle aussi au centre d'hébergement Argyll depuis deux ans. Chaque semaine, la bénévole Johanne Pellerin vient lui faire la lecture. «Mes auteurs préférés sont Gabrielle Roy, Félix Leclerc et Gilles Vigneault. J'aime aussi les biographies», énumère Mme St-Cyr, qui est parfaitement lucide, mais qui a perdu la vue. Vêtue d'une robe mauve, ses beaux cheveux blancs bien coiffés, Mme St-Cyr paraît parfaitement heureuse. «Ce que j'aime ici? Tout! lance-t-elle. Il y a plein d'activités. Ils m'ont même emmenée voir ma soeur qui a 100 ans à Saint-Jean-sur-Richelieu!»

Ce petit voyage a été rendu possible par le projet «Rêves d'aînés» de la Fondation Vitae du CSSS. «On réalise le rêve des résidants. Souvent, ça ne coûte pas grand-chose. Prenez Mme St-Cyr. On l'a emmenée voir sa soeur qui habite dans un centre d'hébergement de Saint-Jean. Elle a dormi là et elle est revenue le lendemain. Elle était tellement contente!», note Mme Émond.

La Fondation Armand Bombardier a aussi permis la construction d'un chalet qui accueille les résidants pour différentes activités. «Des fois, ce n'est pas compliqué. On emmène les résidants y prendre un chocolat chaud. Mais on a aussi organisé une soirée fondue chinoise qui a été un franc succès», note Mme Émond.

Toutes les activités offertes au centre d'hébergement Argyll sont possibles grâce à l'abondance de bénévoles qui caractérise la région de Sherbrooke. «Sans eux, on n'y arriverait pas, croit Mme Masson. C'est réellement une grande richesse.»

2. CHSLD Yvon-Brunet

Un homme est attablé devant une bière, qu'il sirote doucement. Au mur, une pancarte vante les mérites de la bière Labatt 50. Une télévision diffuse un match de curling. Des bols de chips traînent sur les tables. L'espace d'un instant, on se croirait dans une taverne. Mais on se trouve plutôt au bar de la «rue Principale» du centre d'hébergement Yvon-Brunet à Montréal. Un endroit grouillant de vie qui fait oublier que les 185 résidants de cet établissement sont en lourde perte d'autonomie.

Réalisant que sa clientèle ne pouvait plus sortir facilement, le centre d'hébergement Yvon-Brunet a décidé de «faire venir la rue» à l'intérieur. Au sous-sol de l'établissement, une foule de commerces sont accessibles, dont un dépanneur, un bar, une bibliothèque, une boulangerie et un salon de coiffure.

«Quand on fait des activités comme un bingo, le prix à gagner est souvent de l'argent. Les gagnants dépensent leurs sous dans la «rue Principale». Ça les sort de leur chambre», explique Éric Gagné, conseiller aux activités au centre d'hébergement Yvon-Brunet.

Le jour de notre passage par un mardi après-midi enneigé de janvier, le couloir de la «rue Principale» était bondé. Les gens y circulaient en fauteuils roulants et en déambulateur dans une joyeuse cacophonie.

Dans une pièce isolée, des bénévoles tenaient, comme chaque mois, un «spa santé». À l'intérieur du local à la lumière tamisée, des résidantes se faisaient masser, maquiller ou profitaient d'une manucure.

Le coeur de la «rue Principale» reste le dépanneur, devant lequel sont installées plusieurs tables souvent occupées. Le jour de notre passage, l'activité «taverne» avait lieu. Une quinzaine d'hommes sirotaient gratuitement une bière en mangeant des saucisses entourées de pâte et en regardant la télévision. Trois femmes bavardaient en jouant une partie de YUM.

Résidant, mais aussi bénévole, M. Sylvestre se promenait en offrant des chips. L'homme, qui est incapable de parler, sait se faire comprendre par ses pairs. «Il aime s'occuper du bar et servir. Il se rendre utile», note le responsable du service à la clientèle au centre d'hébergement Yvon-Brunet, Benoît Martimbault.

En plus des nombreux commerces de la «rue Principale», une garderie en milieu familial de six enfants loge au centre d'hébergement Yvon-Brunet. «Les enfants mangent avec les aînés. Ils vont parfois leur chanter des chansons. Ça fait plaisir aux résidants de côtoyer des enfants, sans avoir à s'en occuper», dit Daniel Chartrand, directeur de l'hébergement du CSSS Verdun.

Dans un coin de la «rue Principale», on trouve une dizaine de meubles anciens restaurés par un résidant. À son arrivée au centre d'hébergement, cet homme s'isolait. On lui a aménagé un atelier et confié des mandats de restauration de meubles. Depuis, le résidant est totalement épanoui. Il a relancé ses affaires et vend quelques meubles aux familles des résidants.

C'est le centre Yvon-Brunet qui a créé, en 1981, le concept de «milieu de vie», qui a amené les centres d'hébergement du Québec à cesser de ressembler à des hôpitaux. Depuis, cet établissement fait figure de pionnier dans le domaine. Tout y est possible. «La vieillesse n'est pas une maladie. On a tout fait pour développer un établissement comme à la maison. Il n'y a pas de poste d'infirmières. Pas d'uniformes. On essaie tous les jours de repousser les limites de l'institution», dit M. Chartrand. «Dans le fond, il faut se dire qu'on est locataire sici. Ce sont les résidants qui sont chez eux», résume M. Martimbault.

3. Les p'tites maisons (Saint-Eugène)



Dans le milieu de l'hébergement pour aînés au Québec, tout le monde a déjà entendu parler des «petites maisons de Montmagny». Ce centre d'hébergement nouveau genre a ouvert ses portes en 2008 et fait aujourd'hui l'envie de la province entière, voire d'autres pays.

Quand est venu le temps de rénover deux centres d'hébergement sur son territoire, le centre de santé et de services sociaux (CSSS) de Montmagny-L'Islet a décidé de faire les choses autrement. Au lieu de reconstruire des établissements de style hospitalier, il s'est inspiré des pays scandinaves pour créer des centres à dimension humaine. Résultat: quatre petites maisons pouvant héberger chacune seize résidants ont vu le jour dans les villages de Saint-Eugène et de Sainte-Perpétue.

Chacun de ces bâtiments est divisé en deux unités de huit résidants, qui donnent l'impression d'être «à la maison». Lors de notre passage au centre d'hébergement de Saint-Eugène, la tranquillité des lieux était palpable. Dans un salon à l'ambiance feutrée, une dame lourdement atteinte d'alzheimer tenait tendrement une peluche en regardant le foyer, une douce musique de Noël jouant en trame de fond. Une intervenante est passée et lui a caressé les cheveux. La dame a fermé les yeux, l'air serein.

Dans la salle à manger, deux résidantes discutaient dans un langage incompréhensible. Atteintes de troubles cognitifs, ces dames se sont liées d'amitié depuis leur arrivée. Elles sont les seules à se comprendre, explique une préposée. Ce jour-là, elles s'adonnaient à une activité particulière. Pendant que l'une d'elles défaisait une pelote de laine, l'autre la refaisait, sous le regard attendri de l'employée.

Un seul préposé aux bénéficiaires s'occupe de huit résidants au centre d'hébergement de Saint-Eugène. Ce petit ratio permet l'adoption d'horaires flexibles. «On va en fonction des besoins des résidants. Si quelqu'un préfère prendre sa douche le soir, on fait ça. Il n'y a pas de déjeuner à 7h30. Les gens mangent quand ils se réveillent», explique Mireille Gaudreault, agente de communication au CSSS de Montmagny-L'Islet.

Personnel multitâche

Pour permettre ces services adaptés, le personnel a dû accepter des changements de tâches majeurs. Par exemple, un préposé aux bénéficiaires peut être appelé à préparer un repas ou à faire du ménage. Des tâches qu'ils ne réalisent pas en institution.

«Ces changements n'ont pas été faciles à faire passer. Les préposés ne sont pas formés à l'école pour travailler dans des milieux comme ici. Mais ils se sont bien adaptés et plusieurs savourent maintenant leur autonomie», explique Ninon Bourque, conseillère en milieu de vie au CSSS.

En plus d'offrir des soins personnalisés, les petites maisons sont conçues pour offrir un milieu de vie agréable. Il y a de vastes fenêtres partout. Dans les chambres des patients plus autonomes, une porte vitrée donne directement accès à l'extérieur. L'établissement a été construit de plain-pied. Il n'y a pas d'escalier. Pas d'ascenseur. «Il y a moins de perte de temps pour le personnel. Pour les mesures d'urgence comme les évacuations, c'est un avantage majeur», note la coordonnatrice des maisons Saint-Eugène et Sainte-Perpétue, Valérie Dion.

Ce mode de conception a été économique: la construction des 64 lits a coûté 8,6 millions en 2008 alors que les coûts projetés pour un établissement conventionnel étaient de 12 millions. Les cuisines sont au coeur de chacune des maisons. Le jour de notre visite, une employée préparait un «pouding grand-mère» derrière un comptoir devant lequel les résidants peuvent s'asseoir pour la regarder travailler. Un chat est aussi présent en permanence dans les maisons. Tous ces détails permettent aux petites maisons d'offrir un environnement paisible aux résidants, ce qui a des effets positifs notoires, selon Mme Bourque. «Ils sont plus calmes. Il y a beaucoup moins de gestion de comportements à faire. Les gens sont sereins», dit-elle.