En 2010, la ressource intermédiaire Dessources-Lapierre d'Oka a été fermée d'urgence par le gouvernement, car les cinq personnes lourdement handicapées qui y étaient hébergées étaient maltraitées. Malgré cette fermeture, la propriétaire de cet établissement a ouvert deux nouvelles maisons à Montréal et accueille 15 personnes handicapées, avec la bénédiction des autorités. Comment une telle situation a-t-elle pu se produire?

La ressource intermédiaire Dessources-Lapierre, propriété de Marlène Dessources, possédait un contrat avec le centre de réadaptation en déficience intellectuelle (CRDI) Miriam de Montréal. Mme Dessources recevait de 50 $ à 117 $ par jour pour chacun des cinq résidants qu'elle hébergeait.

Des enquêteurs du Protecteur du citoyen ont visité l'établissement en avril 2010. Ce qu'ils y ont vu est plus que troublant.

Dans leur rapport, les inspecteurs notent que «l'air ambiant est vicié par l'odeur d'urine». Un résidant présente une large lésion à la lèvre inférieure et semble souffrir. D'autres sont «laissés à eux-mêmes». «L'impression générale qui se dégage en est une de négligence et d'abandon», est-il écrit.

Le jour de la visite, les frigos étaient «pratiquement vides». Des signes physiques observés chez certains usagers «pourraient être associés à un état de dénutrition», est-il écrit. À la demande du Protecteur du citoyen, les cinq résidants ont été déménagés d'urgence.

Or, malgré ces traitements, Mme Dessources a pu ouvrir deux nouvelles installations avec le CRDI de Montréal. Obtenir les adresses de ces maisons n'a pas été facile, puisque la loi interdit la publication des adresses des ressources intermédiaires. Mais la directrice des sites pour le secteur Est du CRDI de Montréal, Danielle Levert, confirme qu'elles existent.

Elle assure toutefois que le dossier de Mme Dessources était sans tache. «Mme Dessources nous a joints en 2009 pour ouvrir une première ressource. Elle nous a dit qu'elle avait de l'expérience. On a appelé l'ancien CRDI où elle avait un contrat et ils nous ont donné d'excellentes références», affirme-t-elle.

Une affirmation que nie le CRDI Miriam. «Nous n'avons jamais donné de références pour Mme Dessources», affirme la porte-parole Laure Moureaux.

«Pour chaque candidat qui veut ouvrir une ressource d'hébergement, on vérifie les antécédents judiciaires, le crédit, et on demande des références. Si on n'en a pas, on n'approuve pas. Mme Dessources avait d'excellentes références», martèle la coordonnatrice des services résidentiels au CRDI de Montréal, Line Bertrand.

Surprise dans La Presse

Mme Dessources a ouvert une première résidence de huit personnes à Montréal en octobre 2009. «Et tout allait bien. À un point tel qu'elle en a ouvert une deuxième de sept places en février 2011», indique Mme Levert.

Celle-ci reconnaît que le CRDI de Montréal est resté stupéfait à la suite d'un article de La Presse, publié en septembre 2011, dans lequel on a rapporté la fermeture de la ressource intermédiaire Dessources-Lapierre d'Oka. «Quand on a lu votre article, on a réagi. On a rencontré les usagers et leurs familles. On a instauré une série de visites-surprises. Mme Dessources a été rencontrée à trois reprises», explique Mme Levert.

Le CRDI de Montréal est dorénavant présent au moins une fois par semaine dans les maisons de Mme Dessources. «Elle répond tout à fait aux attentes», note Mme Levert. Une seule famille aurait demandé de déménager son proche.

Mme Dessources dit elle aussi avoir été «choquée» par les conclusions du Protecteur du citoyen. Selon elle, après avoir ouvert sa ressource à Oka en 2004, elle a demandé plusieurs fois «du soutien» au CRDI Miriam pour l'aider avec sa clientèle. «Mais je n'ai jamais eu d'aide. Je m'occupais d'une clientèle complexe. Avec beaucoup de besoins. On ne peut pas être laissés à nous-mêmes. Puisque je n'avais pas d'aide, en 2009, j'ai voulu fermer ma ressource et recommencer ailleurs», dit-elle.

Mme Dessources assure que les personnes qu'elle hébergeait étaient bien traitées. La preuve: toutes ses références ont approuvé sa candidature auprès du CRDI de Montréal.

La ressource d'Oka a été fermée en mai 2010. Pourquoi Mme Dessources n'en a-t-elle pas informé le CRDI de Montréal? «Je voulais fermer cette ressource de toute façon. Pour moi, le dossier était simplement fermé», dit Mme Dessources qui souligne que, depuis son installation à Montréal, «tout va bien».

Grave pénurie

Au CRDI de Montréal, 38 personnes handicapées sont en attente d'une place d'hébergement, uniquement dans l'est du territoire. Pour plusieurs, l'attente dure depuis des années. «On est toujours à la recherche de places», confirme Mme Levert. Cette pénurie fait-elle que des ressources intermédiaires sont ouvertes trop rapidement? Pas du tout, assure-t-elle.

Mme Levert explique que les propriétaires intéressés doivent d'abord présenter leur projet au CRDI. Les candidats sont ensuite soumis à cinq rencontres d'évaluation psychosociale et leurs références sont vérifiées. Si tout est conforme, leur dossier est présenté à l'agence de la santé et des services sociaux qui signe le contrat. Mme Levert estime que l'agence fait très peu de vérifications auprès des propriétaires et se fie plutôt à l'expertise des CRDI.