L'Institut de cardiologie de Montréal est reconnu comme étant le mieux équipé au pays, mais seule la moitié de ses salles d'opération sont utilisées en raison d'une pénurie d'infirmières en soins critiques. Ces salles d'opération sont à la fine pointe de la technologie. Elles ont été inaugurées il y a un an à peine par le ministre Yves Bolduc, après avoir bénéficié d'un investissement de 30 millions de Québec, justement pour augmenter le nombre d'interventions par année. Mais à l'heure actuelle, seulement la moitié des patients dont le délai d'intervention recommandé est de trois mois ou moins parvient à la table d'opération, a constaté La Presse.

Le chef du service de l'Institut et président de l'Association des chirurgiens cardio-vasculaires et thoraciques du Québec, le Dr Michel Pellerin, confirme qu'il arrive à peine à faire fonctionner quatre salles sur un total de sept salles hyper sophistiquées, prêtes à fonctionner à plein régime.

«On gère constamment entre 250 et 260 personnes sur nos listes d'attente pour subir une opération. C'est énorme, déplore le Dr Pellerin. On arrive à opérer les cas urgents, mais pour les autres cas, l'attente est facilement de trois à six mois. En ce qui concerne les réparations valvulaires, l'attente peut aller jusqu'à neuf mois. Ce ne sont pas des conditions cardiaques qui mettent en danger la vie des patients, mais l'attente a des répercussions importantes sur la qualité de vie des patients. Il y a des gens qui ont des commerces ou des professions à mener, et c'est gênant de les voir parce qu'on a toujours des urgences à gérer et qu'on doit les décaler sur nos listes.»

Au Québec, le nombre de patients sur les listes d'attente augmente constamment depuis 2005, mais étrangement, le nombre d'opérations pratiquées diminue d'année en année (voir tableau).

À l'hôpital du Sacré-Coeur de Montréal, par exemple, à peine 53% des patients sont parvenus à se faire opérer selon le délai de trois mois ou moins prescrit par le gouvernement. À l'Hôtel-Dieu du CHUM, où un homme est mort en attente d'une opération cardiaque faute de lit, en 2010, on indique qu'on n'a réalisé aucune intervention de cette catégorie entre novembre et décembre 2011. L'hôpital Royal Victoria réussit mieux, avec neuf patients sur dix opérés en trois mois ou moins, mais en contrepartie, à peine 43% des patients dont les normes établissent qu'ils doivent se faire opérer en six mois ou moins obtiennent leur intervention dans ce délai. Quant aux cas urgents, on parvient généralement à les opérer en deux semaines ou moins, quand ce n'est pas à l'intérieur de 72 heures.

Pénurie d'infirmières

Contrairement aux interventions orthopédiques ou plastiques encadrées en vertu de la loi sur la garantie d'accès, il n'est pas possible de se faire opérer au coeur dans les cliniques privées en raison des soins critiques postopératoires liées à ce type d'opération. À l'Institut de cardiologie de Montréal, on explique qu'une pénurie d'infirmières en soins critiques qui dure depuis des années explique l'impossibilité de faire fonctionner les nouvelles salles d'opération et la longueur des listes d'attente.

«C'est frustrant quand on sait que le gouvernement avait promis de s'en occuper quand Jean-Guy Pitre est mort en attente sur la liste de l'Hôtel-Dieu du CHUM. On nous avait assuré que la situation serait réglée en six mois, d'être patient. Mais nous, ce qu'on constate, c'est que ça ne va pas mieux», dit le Dr Pellerin.

À l'Ordre des infirmières et infirmiers du Québec (OIIQ), la présidente Gyslaine Desrosiers explique qu'il y a 3819 infirmières qui pratiquent aux soins intensifs au Québec. Mais ce nombre ne représente que 13,6% de tous les effectifs actifs dans les établissements de santé publics et privés.

«La pénurie aux soins critiques est un phénomène connu depuis plusieurs années, affirme Mme Desrosiers. On constate qu'à peine 15% des infirmières qui pratiquent leur métier depuis 15 ans et plus sont aux soins critiques. C'est un domaine hautement spécialisé et complexe. Actuellement, la formation en soins critiques n'est donnée qu'au baccalauréat. On pense qu'il faut donner davantage de formation, et les établissements ont leur bout de chemin à faire dans l'accompagnement des jeunes infirmières.»

Nadine Lambert, vice-présidente responsable du personnel en soins infirmiers et cardiorespiratoires à la Fédération de la santé et des services sociaux-CSN et infirmière aux soins intensifs au CHU Sainte-Justine, croit que le bac obligatoire va remédier à une partie du problème. Mais elle estime qu'il faudrait du coaching dans les hôpitaux, des mesures incitatives et d'autres pour attirer la relève. «Il faut une trithérapie pour mettre fin à cette pénurie, illustre-t-elle. Ce n'est pas juste en agissant à un niveau qu'on va y parvenir.»