Chaque semaine, Nathalie Collard rencontre une personnalité qui s'est retrouvée au premier plan médiatique et lui pose 10 questions en lien avec la couverture dont elle a été l'objet. La 11e question provient du public. Cette semaine, notre journaliste s'entretient avec le Dr Gaétan Barrette, président de la Fédération des médecins spécialistes du Québec. Le Dr Barrette n'a pas la langue de sa poche et il croise régulièrement le fer avec le ministre de la Santé, Yves Bolduc. On lui prête également des ambitions politiques. Voyez ce qu'il a à dire sur ces sujets.

1 Votre dernier accrochage avec le ministre de la Santé, Yves Bolduc, concerne les chirurgiens qui offrent à leurs patients de se faire opérer plus rapidement dans leurs cliniques privées. Dites-vous que cela n'existe pas?

Le ministre Bolduc a insinué que les chirurgiens gonflaient leur liste d'attente et il s'est rétracté partiellement par la suite, car ses propos étaient à la limite de la diffamation. Les chirurgiens ne contrôlent pas les listes d'attente, elles sont gérées par des préposés, des administrateurs et par le ministre lui-même. Une fois qu'on a dit cela, bien sûr qu'il est possible d'être opéré au privé, et les patients le demandent.

2 On a l'impression que vous êtes en guerre perpétuelle contre le ministre de la Santé. Le trouvez-vous incompétent?

Je pense qu'il a des difficultés oratoires... Mais je peux vous dire qu'à la Fédération des médecins spécialistes, nous avons une collaboration étroite et très positive avec l'appareil de l'État. Heureusement que cette collaboration quotidienne existe, car ce serait encore pire. Depuis que nous avons signé l'entente avec le gouvernement en juin dernier, le ministre a une propension à faire des attaques personnelles. Vous vérifierez: chaque fois que nous avons pris la parole publiquement, c'était pour répondre à ses attaques. Je pense qu'il y a des gestes politiques qui sont faits sciemment en vue de provoquer des réactions. Et comme je ne suis pas du genre à reculer devant l'adversité, je ne recule pas.

3 Selon vous, le Québec a-t-il déjà eu un bon ministre de la Santé?

Disons qu'au cours des 20 dernières années, du ministre [Jean] Rochon au ministre Bolduc, il y a eu une série de ministres à la volonté et au courage inégaux. Les courageux se sont fait torpiller de l'interne et personne n'est jamais allé au bout de la pensée gouvernementale pour apporter les changements nécessaires au système de santé. Le ministre Rochon avait raison avec sa réforme, mais on lui a enlevé les moyens de la mener à terme, avec les résultats qu'on connaît aujourd'hui.

4 Quelles sont les qualités nécessaires pour être un bon ministre de la Santé?

Il doit avoir des connaissances, une vision, et être capable d'aligner trois phrases devant un micro. Et je peux vous dire qu'au cours des 20 dernières années, aucun des ministres de la Santé ne possédait les trois. De plus, un ministre de la Santé doit absolument être bilingue, c'est-à-dire qu'il doit être en mesure de s'adresser aussi bien aux gens de la santé qu'au public. Enfin, et c'est le plus important, il doit faire preuve d'autorité. Sans autorité, c'est le free-for-all comme on le connaît actuellement. Certains problèmes qui pourraient être résolus en quelques mois mettent des années à se régler.

5 Si vous étiez ministre de la Santé, quel serait votre premier geste?

Il n'y a pas de «première chose», mais disons que je réglerais l'accès à la première ligne. Je ne veux pas relancer le débat, mais le Québec compte suffisamment de médecins pour donner des services aux Québécois. La capacité est là, mais elle n'est pas exploitée et cela s'explique par une problématique d'autorité.

6 Quelle place accorderiez-vous au privé dans notre système de santé?

Très peu. Mais avant tout, je dois dire qu'au Québec, nous avons un problème lexical, nous ne nommons pas les choses correctement. Les gens confondent cliniques de médecins désaffiliés et cliniques conventionnées. J'accorderais donc peu ou pas de place à la vraie partie privée complètement désaffiliée, mais je clarifierais le statut des cliniques conventionnées et je m'assurerais que les services offerts soient totalement publics.

7 Plusieurs personnes affirment que vous jouez sur deux tableaux et prévoient que vous vous joindrez à la Coalition avenir Québec (CAQ). Pourquoi ne déclarez-vous pas vos intentions politiques?

Je ne fais pas de politique. Mon rôle comme président de la Fédération, c'est de promouvoir les intérêts économiques de mes membres ainsi que la qualité et la bonne pratique médicales. Quand le ministre de la Santé attaque l'ensemble du monde chirurgical comme il l'a fait cette semaine, je défends mes membres. Si c'est perçu comme un geste politique, alors oui, j'ai fait de la politique, mais je trouve cela assez insignifiant comme argument. Je comprends qu'il y a bien des gens qui sont en mode préélectoral, mais pour ma part, j'ai agi à titre de président, dans les paramètres de ma présidence.

8 Cela signifie-t-il que la politique ne vous intéresse pas?

Je déteste la politique de la chaise vide. Les débats doivent se faire et j'y participe. Mes idées ne doivent pas être si mauvaises parce que tous les partis politiques, y compris celui d'Amir Khadir, sont passés dans mon bureau ou m'ont invité dans le leur pour connaître mes opinions sur le système de santé et pour savoir ce que je ferais pour améliorer la situation. J'ai également accepté l'invitation du ministre Bachand, je l'ai rencontré dans son bureau, avec son équipe d'économistes, et de temps en temps, il fait ce que je lui suggère. Je me prête à l'exercice avec plaisir, en privé et en public, car mon objectif est que la population qui paie ses impôts ait accès à un système public qui offre des services. Le système a des problèmes, mais j'y crois profondément. Mais pour que ce système survive, il faut participer au débat et, à partir du moment où on prend part au débat, on fait de la politique. Alors qu'on ne vienne pas me reprocher de participer au débat public! À moins que ma participation leur fasse craindre de perdre leur emploi, ce à quoi je répondrai que la chose politique ne devrait pas être une carrière, mais un choix éclairé pendant une certaine période de temps, pour accomplir quelque chose puis s'en aller. Ce n'est pas normal de coller là pour une durée indéterminée.

9 Si jamais vous décidiez de vous lancer en politique, est-ce que ce serait avec la CAQ?

Une chose est certaine, si je me lance en politique, et je dis SI avec un «S» et un» I» majuscules, cela ne pourra être qu'avec quelqu'un qui est d'accord avec les positions que je mets de l'avant. Je n'irai pas faire le contraire de ce que je propose aujourd'hui.

10 Si vous aviez à choisir une mesure qui ferait une grande différence dans le système de santé, quelle serait-elle?

J'en connais une, mais je ne vous la dirai pas. Je vais la garder au cas où je serais candidat dans un parti politique (rires).

TWITTER +1 de Marie-Pierre Duval@MPDuval

Si vous aviez à choisir une carrière en 2012, avec les conditions actuelles, referiez-vous le choix de la médecine?

Sans aucun doute, car c'est la meilleure des carrières. C'est un domaine intellectuellement, socialement et humainement tellement gratifiant, c'est imbattable. J'ose penser que les jeunes le choisissent pour la bonne raison, même si, de temps en temps, j'ai l'impression qu'ils deviennent médecins pour les revenus garantis et les horaires gérables et confortables.