Quand la commission parlementaire sur l'euthanasie s'est ouverte il y a deux ans, Réjean Rouleau venait de se tirer deux balles dans le thorax avec sa carabine de chasse, une vieille 22. Comme il ne voulait pas que sa femme le trouve, il a appelé lui-même le 911. Une fois à l'hôpital, on a voulu l'opérer. Mais il a refusé toute intervention. Il voulait mourir.

Ce n'est qu'après l'avoir obligé à voir un psychiatre qu'on l'a laissé s'éteindre tranquillement. L'homme est mort 14 heures plus tard après avoir fait ses adieux à sa conjointe et à sa famille. M. Rouleau avait 59 ans. Il n'en pouvait plus de souffrir et de perdre sa vie morceau par morceau à cause de la sclérose en plaques. À la fin, il était cloué à son fauteuil roulant et il ne pouvait même plus lire.  

Sa famille était au courant de son désir d'en finir avec la vie et comprenait son choix. Le combat de ses trois dernières années aura été de réclamer en vain le droit à l'euthanasie, explique sa conjointe, Sylvie Coulombe, jointe par La Presse en Abitibi.

Je suis très émue et soulagée par les recommandations, dit-elle. C'est comme si la dernière revendication de mon conjoint avait été entendue. Je suis aussi soulagée pour les gens qui sont dans la même situation que Réjean et qui auront le choix.»

Lors des audiences de la commission, Mme Coulombe avait expliqué toutes les démarches de son conjoint pour obtenir de l'assistance dans sa décision de mourir. «Il avait pensé aller en Suisse, où la pratique est légale, mais il ne voulait pas nous laisser le fardeau de revenir du voyage avec ses cendres dans une boîte.» Sa conjointe est convaincue que M. Rouleau aurait prolongé ses jours si l'euthanasie avait été légale et s'il avait eu la certitude qu'au moment venu, il aurait pu avoir une fin humaine et digne.

La terreur d'être emprisonné dans son corps, Ghislain Leblond l'éprouve depuis des années. «Je suis terrorisé par l'idée de me trouver totalement paralysé, alors que mes facultés intellectuelles sont intactes. Je pourrais rester comme ça pendant plusieurs années, et dans ce cas, je voudrais demander qu'on abrège ma vie», lance l'ancien sous-ministre de l'Industrie, à 67 ans, atteint depuis très longtemps d'une maladie qui s'apparente à la sclérose latérale amyotrophique.  

Il y a quelques années, M. Leblond était apparu dans plusieurs reportages sur ces questions de fin de vie. «Les balises sont assez serrées, a-t-il constaté à la lecture du rapport. Ce sont des choses qui se font ailleurs. Il faut surtout que ça se passe dans un contexte médical, et il faudrait la complicité de toutes les infirmières, des travailleurs sociaux, pour éviter les dérives», observe-t-il.

Les médecins écoutés

À la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec (FMOQ), on constate que les commissaires ont écouté les médecins. «Nous savons que la question de l'euthanasie ne fait pas l'unanimité chez les médecins, explique le président de la FMOQ, le Dr Louis Godin. Notre rôle fondamental, en tant que médecin, c'est de soigner. Nous sommes donc satisfaits de constater que les médecins qui ne se sentent pas à l'aise avec la démarche pourront refuser de s'y plier. Ils auront le choix.»

En revanche, le Dr Paul Saba, de la Coalition des médecins pour la justice sociale, dénonce «toute ouverture à l'euthanasie, même dans les cas de souffrances exceptionnelles». L'euthanasie «va à l'encontre du code de déontologie du Collège des médecins et de la Charte des droits et libertés du Québec», dit-il.

Trahison et insulte

Le regroupement Vivre dans la dignité voit dans les conclusions de la commission une «trahison envers la démocratie».

La directrice du regroupement, Linda Couture, qui a été formée dans la foulée des audiences, affirme que 5000 personnes ont signé leur manifeste pour la promotion d'une vie digne et naturelle.

C'est une insulte envers les gens qui ont déposé des mémoires, estime Mme Couture. On dirait que la commission n'a écouté que le Barreau et le Collège des médecins du Québec. C'est à se demander si le gouvernement ne cherche pas la fierté de dire qu'on sera les premiers au Canada à permettre l'euthanasie. Ma mère est décédée récemment de la maladie d'Alzheimer et je peux vous assurer qu'elle est morte en riant. Elle avait des soins de confort. La douleur, c'est nous, ses proches, qui la ressentions. Pas elle.»

Mais pour Hélène Bolduc, de l'Association pour le droit de mourir dans la dignité, l'ouverture de la commission parlementaire est bienvenue. Elle souhaite que le procureur général puisse se rendre aux arguments des députés. «Il y a des souffrances intolérables, c'est reconnu... On parle de fin de vie, pas de mort imminente» observe-t-elle.

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Une nouvelle notion pour un vieux débat

Laisser ses proches vivre une longue agonie, dans des douleurs atroces, ou risquer d'ouvrir la porte à la dérive du «suicide assisté»? Comment appliquer au Québec, le principe «d'assistance médicale à la mort», la formule adoptée dans des pays comme la Belgique, alors que le Code criminel est de compétence fédérale? Pendant deux ans, des députés de cinq partis à l'Assemblée nationale se sont penchés sur ces questions, délicates mais fondamentales. Leurs conclusions sont unanimes.

1- Un soin approprié»

Selon eux, le Québec devrait légiférer d'ici juin 2013 pour modifier une série de lois afin qu'on reconnaisse «l'aide médicale à mourir comme un soin approprié en fin de vie si la demande est formulée par la personne».

2- Différent du«suicide assisté»

L'aide médicale à mourir» diffère du «suicide assisté» et de «l'euthanasie». Souvent décrié, le suicide assisté nécessite l'intervention d'un proche du malade, pas nécessairement de son médecin. La Commission n'absoudrait pas Robert Latimer, par exemple: il avait mis fin à la vie de sa fillette gravement malade. Or il n'était pas son médecin et elle était mineure, incapable de demander explicitement qu'on mette fin à ses jours. L'euthanasie est explicitement proscrite par le Code criminel canadien.

3Grave et incurable»

La demande «d'aide médicale à mourir» devrait être rigoureusement balisée et respecter tous les critères suivants: le malade doit être résidant du Québec, être majeur et apte à consentir à des soins.Il doit être capable de s'exprimer lui-même et de prendre une décision éclairée. Surtout, sa maladie doit être «grave et incurable» et entraîner «une déchéance avancée de ses capacités», sans perspective de rémission. Cette personne doit «éprouver des souffrances physiques ou psychologiques constantes, insupportables et qui ne peuvent être apaisées dans des conditions qu'elle juge tolérables».

4- Pas de poursuite criminelle

Les députés demandent aussi que le procureur général donne des orientations au Directeur des poursuites criminelles et pénales pour que les médecins qui pratiquent «l'aide médicale à mourir» ne puissent être traduits en justice et ne puissent faire l'objet d'une poursuite criminelle. Au Québec, le procureur général avait accompli un tel geste en 1976, quand il avait indiqué qu'il n'y aurait pas de poursuites à l'endroit des médecins qui procédaient à des avortements.

5- Changer le Code

Les députés demandent aussi que le Collège des médecins du Québec modifie son code de déontologie afin que les médecins puissent pratiquer une aide médicale à mourir selon les critères prévus par la loi. Les médecins auraient également le droit à «l'objection de conscience» et pourraient, le cas échéant, diriger le patient vers un autre médecin. Pour Amir Khadir, médecin et membre de la commission, les médecins seront très soulagés de voir clairement établi le cadre de leurs interventions dans ce contexte délicat, où «parfois le meilleur traitement est d'amener le patient à mourir». L'Ordre des infirmières et infirmiers devrait aussi modifier son code d'éthique pour prévoir les nouvelles dispositions.

6- Prévoir sa mort

La commission propose qu'on mette en place un comité d'experts, sous la direction du Collège des médecins, pour étudier la possibilité pour une personne atteinte d'une démence liée à une maladie dégénérative du cerveau - l'alzheimer, par exemple - de faire à l'avance une demande d'aide à mourir. Les députés n'ont pu s'entendre sur une recommandation formelle sur cette question délicate. Lors de l'exécution de cette «demande anticipée d'aide médicale à mourir», le patient ne serait pas capable de la demander explicitement.

Aucun risque?

Il ne faut pas en conclure que l'option de l'aide médicale à mourir ne comporte aucun risque, mais plutôt que la société québécoise est capable de prendre les moyens d'éviter ces risques, comme les Belges et les Néerlandais l'ont fait. D'ailleurs, tous les médecins entendus ont confirmé qu'au Québec, aucune dérive n'avait été associée au fait que depuis 20 ans, des personnes, voire leurs proches, peuvent demander un arrêt de traitement, comme le retrait d'un respirateur artificiel.»