Le monde est sur le point de perdre les médicaments miracles que sont les antimicrobiens, tant les virus et bactéries résistants se multiplient, prévient l'OMS. Pour restreindre leur dissémination dans la viande et l'environnement, l'Europe a interdit l'usage d'antibiotiques destinés à stimuler la croissance du bétail. Un juge américain veut pousser nos voisins du Sud à faire pareil. Chez nous? C'est toujours permis.

Une écorchure au genou d'un enfant pourrait bientôt redevenir mortelle. La pose d'une prothèse de la hanche, les transplantations d'organe, la chimiothérapie? Cela sera bien difficile à réussir, voire trop dangereux pour être tenté. Pareil pour le soin des prématurés. Une ère post-antibiotiques s'ouvre, selon l'Organisation mondiale de la santé (OMS), et elle est effrayante.

«Nous sommes en train de perdre nos antimicrobiens de première intention», a déclaré Margaret Chan, directrice générale de l'OMS, dans un récent discours au Danemark. Les bactéries, virus et parasites sont de moins en moins vulnérables à l'attaque des traitements classiques, qui ont révolutionné la médecine dans les années 40.

Cette résistance grandissante aux antimicrobiens est «une menace grave et croissante, d'envergure mondiale, pour la santé, a indiqué Mme Chan. Si les tendances actuelles ne s'infléchissent pas, l'avenir est facile à prédire, a-t-elle précisé. Selon certains experts, nous sommes en train de revenir à l'époque d'avant les antibiotiques.» Soit quand la tuberculose, la lèpre ou la syphilis n'étaient pas maîtrisées.

Déjà, 650 000 personnes ont souffert de tuberculose multirésistante dans le monde en 2010, selon l'OMS. Des cas sont signalés au Canada et dans 63 autres pays. Seulement un peu plus de la moitié des malades en guérira. Autre exemple: une inquiétante souche de gonorrhée résistante à tous les antibiotiques a fait son apparition, notamment à Toronto.

Pathogènes résistants: 50% plus de mortalité

Les solutions de rechange sont moins efficaces et plus chères. «La résistance aux antimicrobiens multiplie au moins par deux le coût du traitement d'une infection bactérienne», estime l'Agence de la santé publique du Canada. La mortalité, quant à elle, augmente d'environ 50%.

Et l'espoir de trouver de nouveaux médicaments miracles est faible. Les antibiotiques représentent moins de 5% des produits qui font actuellement l'objet de recherche et de développement, selon l'OMS. «La filière est pratiquement tarie, notamment pour les bactéries à Gram négatif (choléra, salmonelle, E. Coli, etc.), a précisé la Dre Chan, diplômée de l'Université Western Ontario. L'armoire est presque vide.» Autre problème: le secteur pharmaceutique craint que les nouveaux antimicrobiens ne deviennent inefficaces avant d'être rentabilisés.

Le ministère de la Santé est préoccupé

Au Québec, le ministère de la Santé (MSSS) «est préoccupé par l'antibiorésistance», a assuré Noémie Vanheuverzwijn, relationniste du MSSS. Parmi les mesures prises récemment, les hôpitaux devaient nommer avant le 1er avril une entité responsable de «la mise en oeuvre d'un programme d'usage optimal des antibiotiques au palier local», a-t-elle indiqué. Un plan d'action et un bilan annuel des progrès accomplis doivent désormais être remis aux conseils d'administration des hôpitaux.

Un système de surveillance intégrée de l'antibiorésistance est également créé par l'Institut national de santé publique (INSPQ). Ce système «sera développé au courant de l'année et mis en place par la suite», a indiqué Mme Vanheuverzwijn.

Selon l'OMS, c'est l'usage «inadapté et irrationnel» des médicaments (donnés aux humains comme aux animaux) qui cause l'apparition de micro-organismes résistants, à la suite d'une mutation ou de l'acquisition d'un gène de résistance.

Les actions entreprises jusqu'à maintenant pour lutter contre l'antibiorésistance «sont bien insuffisantes», estime la Dre Chan. Une riposte «multisectorielle nationale et mondiale» est urgente pour éviter une nouvelle crise mondiale.