Enclavée entre une autoroute et deux voies ferrées, dans la partie ouest de Vaudreuil-Dorion, la forêt a poussé loin des regards, tout en attirant les spéculateurs. Peuplée d'arbres centenaires et traversée par une rivière et plusieurs ruisseaux, elle doit faire place à un grand projet immobilier autour d'un nouvel hôpital régional. La Presse a visité les lieux.

Les autorités de la région de Vaudreuil-Soulanges ne manquent pas d'arguments pour obtenir un nouvel hôpital, dont le principe a été approuvé en décembre dernier par le ministre de la Santé, Yves Bolduc.

La MRC de Vaudreuil-Soulanges s'étend à l'ouest de Montréal, entre la rivière des Outaouais, le fleuve et la frontière ontarienne. Elle compte déjà plus de 100 000 habitants et connaîtra une forte croissance d'ici 30 ans. On prévoit que 150 000 personnes y habiteront en 2040.

Selon le directeur général de la MRC, Guy-Lin Beaudoin, c'est la seule région du Canada de 100 000 habitants ou plus qui ne peut compter sur un centre hospitalier.

Personne ne remet en question le besoin d'un hôpital et la décision du ministre Bolduc a été applaudie dans la région.

Mais certains se demandent pourquoi détruire un immense milieu naturel, zoné agricole, plutôt que d'utiliser des terrains vacants ou sous-utilisés, déjà zonés pour la construction. Surtout quand, au même moment, deux hôpitaux géants sont en construction à Montréal, l'un sur une friche industrielle et l'autre sur un terrain de stationnement.

La MRC a fait faire une étude par la firme d'urbanisme Sotar pour trouver un terrain approprié. Le ministère de la Santé affirme qu'il faut une superficie de 25 hectares. Résultat de la recherche: aucun terrain de cette taille ne correspond aux critères recherchés.

D'où la nécessité, selon la MRC, de changer le zonage d'un terrain de 640 hectares, une terre agricole en grande partie couverte de forêt. L'hôpital deviendrait le coeur d'un «pôle institutionnel». La MRC compte s'adresser l'an prochain à la Commission de protection du territoire agricole pour obtenir ce changement de zonage. Une volonté qui contredit le projet de Plan métropolitain d'aménagement et de développement (PMAD), qui propose un gel de la zone urbaine pour au moins cinq ans.

Mais l'étude de la firme Sotar a complètement ignoré au moins une autre possibilité: l'immense terrain et le bâtiment d'une douzaine d'étages appartenant à la société Future Electronics. Impossible de manquer cette tour dans le secteur, c'est de loin la plus haute. La plupart des locaux sont vacants depuis des décennies, comme en témoigne une grande bannière «Espace à louer».

Aux étages supérieurs, on profite d'une vue magnifique sur le lac des Deux Montagnes. Et le terrain qui l'entoure, gazonné et plat, fait 26 hectares de superficie. On y trouve un bâtiment secondaire et une chaufferie industrielle. L'entreprise n'a pas voulu commenter la situation.

Pourquoi avoir écarté ce terrain? «C'est une question d'accessibilité et c'est un zonage industriel», affirme M. Beaudoin. Au sujet de l'«accessibilité», M. Beaudoin indique que les voies d'accès et le viaduc donnant accès à l'autoroute 40 voisine ne sont pas assez larges et sont souvent congestionnés. Quant au zonage, il convient que les autorités locales ont le pouvoir de le changer.

Si le projet de Plan métropolitain d'aménagement et de développement (PMAD) est adopté tel quel, l'hôpital pourrait-il être plutôt construit dans la zone industrielle? «L'hôpital ne peut pas se faire ailleurs», insiste M. Beaudoin.

Le biologiste Jean-Patrick Toussaint, chef des projets scientifiques à la Fondation David Suzuki, n'est pas de cet avis. Il a parcouru la forêt en compagnie de La Presse et visité également les terrains industriels à Vaudreuil.

«Il est insensé de vouloir dézoner ce bois afin d'y construire un centre hospitalier alors qu'il y a un terrain déjà zoné blanc à quelques kilomètres seulement de là, possédant déjà des infrastructures qui pourraient sans doute être réutilisées», dit-il.

M. Toussaint affirme que la forêt de Vaudreuil devrait faire partie de la ceinture verte, un projet défendu par tous les groupes écologistes de la région et appuyé par plusieurs municipalités.

Dans la ligne de mire des spéculateurs

Peu propice à l'agriculture, la zone visée par le projet d'hôpital est dans la ligne de mire des spéculateurs immobiliers depuis longtemps.

Une grande partie du terrain appartient à la société Plateau Vaudreuil inc. depuis septembre 2006. Le principal actionnaire de Plateau Vaudreuil est Elias Noujaim, qui réside dans l'ouest de l'île. Il n'a pas rappelé La Presse.

Les deux autres sont Raymond Allard et Sylvain Ménard, qui construisent des maisons depuis des décennies dans la région. «On a acheté ces terrains en se disant que ce serait un bon investissement, a dit M. Ménard à La Presse. Ce terrain-là est super bien placé. Il est centralisé.»

La MRC affirme qu'au total, environ la moitié de la zone sera constructible. Le reste, constitué de marais, de marécages et de terrains instables, sera consacré à la conservation.

Plateau Vaudreuil a acheté les terrains d'une autre société appelée Entreprises Pierrekand, dissoute en mai dernier et dont l'unique actionnaire était la banque libanaise Banque Audi S.A.L.

La transaction de 3 millions visait au total 188 hectares, ou plus de 20 millions de pieds carrés, soit environ 15 cents du pied carré. Selon M. Ménard, les terrains constructibles se vendent entre 1$ et 1,60$ le pied carré dans la région.

Auparavant, jusqu'au début des années 90, le Groupe immobilier Grilli était propriétaire de ces terrains.

Un autre important propriétaire dans la zone visée par le projet est une filiale de Devmore, de la famille Stern, établie à Montréal et dans la région de New York. Devmore est active depuis 40 ans dans l'immobilier commercial dans la région de Montréal. Par l'entremise de sa filiale 9008-9236 Québec, dont est aussi actionnaire la famille Lieberman de Montréal, Devmore a acquis plusieurs terrains dans la zone en 1997. Personne chez Devmore n'était en mesure de répondre aux questions de La Presse la semaine dernière.

Adrien Cousineau, agriculteur, possède lui aussi des terrains dans le secteur. «Je les avais achetés pour le bois, pas pour spéculer, dit-il. Mais ça ne me ferait rien que ce soit dézoné. Ce terrain-là n'est pas cultivable. C'est du bon sol, mais il faudrait défricher et il n'y a pas d'accès.»

Un manque de planification?

Dans son mémoire sur le PMAD, la MRC de Vaudreuil- Soulanges relate comment, au fil des ans, les institutions comme les hôpitaux ou les cégeps se sont retrouvés dans les régions voisines. Pendant ce temps, bungalows et centres commerciaux se sont multipliés sur le territoire de la MRC, dont le schéma d'aménagement date de 2003.

Le mémoire cite le rapport du consultant Sotar, qui affirme que le besoin d'un hôpital est une «préoccupation récente».

«La planification régionale et urbaine du territoire de la MRC de Vaudreuil-Soulanges a été élaborée sans prendre en considération l'implantation éventuelle d'un hôpital régional, note Sotar. En termes concrets, ni le schéma d'aménagement révisé ni les plans d'urbanisme n'ont prévu de zones ou d'aires pour une installation de cette envergure.»

Mais n'était-il pas du ressort de la MRC et des villes de prévoir de l'espace pour des projets institutionnels, devant l'explosion de la population?

«En matière d'aménagement, les grandes structures relèvent du gouvernement provincial, dit M. Beaudoin. Quand le gouvernement veut implanter un grand équipement, il nous avise, mais on n'a jamais eu de demande en ce sens. C'est la menace de pandémie qui a ouvert bien des yeux. Tout d'un coup, on avait 100 000 personnes qui devaient se déplacer pour se faire soigner.»